Un cas d’ataxie cérébelleuse chez un staffordshire bull terrier
Dr Fanny BERCHTOLD, Dr Anne-Charlotte BARROT (CHV Saint-Martin)
Maya, chienne femelle stérilisée Staffordshire Bull Terrier de 4 ans a été référée par son vétérinaire traitant suite à l’apparition de troubles neurologiques (pertes d’équilibre) à caractère évolutif et s’aggravant depuis 1 mois environ. Elle est à jour dans ses protocoles de vaccination et n’a jamais présenté d’antécédents médicaux notables.
L’ataxie serait apparue en parallèle d’une chute dans un escalier sans que les propriétaires puissent définir si la chute était provoquée par l’ataxie ou si cette dernière est survenue après la chute.
La chienne avait été mise sous traitement anti-inflammatoire (méloxicam, 0.1 mg/ kg/ PO/ SID, 10 jours) par le vétérinaire référant, sans amélioration.
Examen clinique :
L’examen clinique général de Maya présente peu d’anomalies ; son score corporel est de 4/5 (d’après l’échelle WSAVA), ses muqueuses sont rosées, et son temps de remplissage capillaire inférieur à 2 secondes. Un souffle cardiaque parasternal systolique à gauche et de grade 1/6 est ausculté. La palpation abdominale est tendue. Le reste de l’examen clinique général est sans anomalie et Maya est normotherme à 38.8°C.
Examen neurologique :
Une ataxie cérébelleuse des quatre membres est présente ce jour (vidéo), elle se manifeste par une hypermétrie des quatre membres et des tremblements intentionnels discrets ce jour. Un retard proprioceptif est présent sur les quatre membres et est plus marqué sur les membres pelviens. Les nerfs crâniens ne présentent aucune anomalie. Le nystagmus positionnel est présent et il n’y a pas de nystagmus pathologique ce jour. Les réflexes médullaires ne présentent pas d’anomalie et l’état de conscience n’est pas altéré.
Examens complémentaires :
Un bilan sanguin complet (hématologie, biochimie 10 paramètres et électrolytes sanguins) a été réalisé par le vétérinaire référant et est sans anomalie.
Une échocardiographie est réalisée à l’admission pour investiguer le souffle cardiaque : aucune anomalie fonctionnelle ou morphologique jugée significative n’est présente lors de l’examen.
Un examen tomodensitométrique est réalisé avec injection de produit de contraste iodé et ponction de liquide céphalorachidien. Une légère dilatation du 4èmeventricule est mise en évidence. Compte tenu de la race, une abiotrophie cérébelleuse ne peut être exclue. Le reste de l’examen de l’encéphale ne présente pas d’anomalie et aucun rehaussement du produit de contraste anormal n’est noté. Il n’y a pas d’anomale décelable à l’examen de la tête.
Une ponction de liquide céphalorachidien est réalisée : l’analyse de l’échantillon ne montre pas d’anomalie.
Bilan :
Les anomalies présentes à l’examen neurologique sont en faveur d’une atteinte cérébelleuse. Le diagnostic différentiel est large : de nombreuses causes peuvent être à l’origine de ces signes cliniques ; elles sont répertoriées dans le tableau ci-dessous. Compte tenu de son âge et de son examen neurologique, la cause la plus probable est une atteinte à caractère neurodégénératif.
Tableau 1 : Caractéristiques des différents types d’atteintes neurologiques. Traduit en Français d’après [6]
L’examen clinique, l’anamnèse et le caractère évolutif permettent d’exclure certaines hypothèses : l’hypoplasie cérébelleuse congénitale ou une intoxication.
L’examen tomodensitométrique et l’analyse du liquide céphalorachidien permet d’en exclure d’autre : le néoplasie, le kyste arachnoïdien, une cérébellite.
Le bilan sanguin quant à lui élimine l’origine métabolique.
Par élimination, l’hypothèse principale apportée par l’ensemble des éléments est la dégénérescence corticale cérébelleuse (aussi appelée abiotrophie cérébelleuse) : les signes cliniques, l’exclusion de causes métaboliques ou lésionnelles par l’ensemble des examens complémentaires, ainsi que la présence d’une dilatation du 4ème ventricule sont en faveur d’une dégénérescence corticale cérébelleuse, qui amène à une atrophie du cervelet.
L’examen de référence dans ce cas de figure reste l’imagerie par résonance magnétique, d’une sensibilité accrue par rapport au scanner pour diagnostiquer ce type de problème. Pour des raisons pratiques, l’examen tomodensitométrique est souvent choisi. Pour certaines races, un test génétique permet de confirmer la maladie.
Cette maladie est progressive mais non douloureuse. Malheureusement, aucun traitement ne permet de ralentir la progression de la maladie ou de la guérir. Une décision doit être prise par les propriétaires quand la qualité de vie de l’animal n’est plus satisfaisante.
L’abiotrophie cérébelleuse idiopathique est une dégénérescence progressive du cervelet, sans qu’une cause puisse être mise en évidence. Elle se manifeste primairement par une ataxie cérébelleuse.
Pour certaines races, un lien héréditaire a été mis en avant, notamment 39 % de la population des Staffordshire terrier Américain sont porteur d’une mutation autosomale récessive entraînant une abiotrophie cérébelleuse et peuvent être testés pour cette pathologie [1]. A ce jour, une transmission héréditaire autosomique récessive est démontrée chez le Beagle, le Kelpie Australien, le chien courant Finlandais, le chien de Berger anglais ancestral, le setter Gordon et le Braque Hongrois à poils court. Pour les autres races, un mode de transmission autosomique récessif est suspecté sans pour autant avoir pu être mis en évidence [2] [3].
La dégénérescence cérébelleuse chez le chien a été rapportée dans plus de 27 races différentes. Tandis qu’une partie des races présente les signes tôt (ie avant l’âge adulte), d’autres ont des signes cliniques adultes ; les différentes formes et races sont répertoriées dans le tableau ci-dessous.
Signes cliniques
La maladie peut apparaître, comme décrit ci-dessus, à différents âges. Les signes cliniques d’une atteinte cérébelleuse sont souvent modérés en début de maladie et s’aggravent avec le temps. Une ataxie cérébelleuse (hypermétrie, tremblements intentionnels) est présente. Des tremblements intentionnels, de la tête ou du corps entier peuvent émerger. Dans certaines formes, la réponse à la menace peut être diminuée à absente. L’état de conscience n’est pas altéré. Dans certaines formes avancées, certains actes basiques comme la préhension de la nourriture peuvent être compromis [5].
Pathophysiologique
L’ataxie héréditaire peut être liée à différents mécanismes pathologiques qui peuvent atteindre différentes zones. En particulier sont décrits : la dégénérescence corticale cérébelleuse, la dégénérescence spinocérébelleuse, la dégénérescence des systèmes multiples, l’ataxie cérébelleuse sans neurodégénérescence et l’ataxie épisodique [6].
En ce qui concerne la dégénérescence corticale cérébelleuse, les lésions sont principalement situées au niveau du cortex cérébelleux. L’élément histologique récurrent montre une destruction des neurones de Purkinje, ainsi qu’une mort prématurée des cellules granulaires. Ces cellules sont toutes deux retrouvées dans la matière grise cérébelleuse. Les neurones de Purkinje étant les plus susceptible aux perturbations de leur métabolisme, ils sont parmi les premières cellules nerveuses à être détruites. Souvent, les cellules granulaires sont affectées par la disparition des cellules de Purkinje[7] [8].
Lors de dégénération spinocérébelleuse, la portion médullaire du cervelet ainsi que la moelle épinière sont généralement impliquées. Parfois, seule la moelle épinière est impliquée, sans modification au niveau du cervelet.
La dégénérescence des systèmes multiples représente le cas où divers systèmes sont affectés : le noyau olivaire, la substantia nigra, le putamen, et le noyau caudé plus particulièrement.
Pour l’ataxie sans neurodégénération, aucun changement microscopique histopathologique n’est mis en évidence expliquant l’apparition des signes cliniques.
L’ataxie épisodique concerne une présentation pathologique lors de laquelle des épisodes d’ataxie profonde alternent avec des moments sans aucune anomalie neurologique A nouveau, il n’y a aucune modification histologique.
Diagnostic et imagerie médicale
La première étape indispensable est l’examen clinique approfondi. Une anamnèse complète, ainsi qu’un examen neurologique sont essentiels. Aucune anomalie à l’examen clinique général ne peut confirmer le diagnostic, des plaies ou lésions secondaires à des défauts de position peuvent apparaître. Concernant l’examen neurologique, la présentation clinique habituelle va être une ataxie de type cérébelleuse, avec des tremblements intentionnels et une hypermétrie des 4 membres. Habituellement, il n’y a pas de déficit proprioceptif associé bien que cet élément puisse être difficile à évaluer lors des pertes d’équilibre de l’animal. [3]
Tandis que les anomalies de l’examen neurologique suggèrent la localisation de la lésion, obtenir le diagnostic définitif passe par l’imagerie médicale. L’examen le plus adapté pour évaluer l’encéphale est la résonance magnétique (IRM). Il permet d’évaluer de manière subjective la taille du cervelet, ainsi que l’augmentation des flux de signaux entre les circonvolutions du cervelet. Le 4èmeventricule peut également sembler élargi proportionnellement à la diminution de la taille du cervelet. A défaut d’avoir accès à l’IRM, le scanner peut s’avérer être une excellente alternative, parfois suffisante pour poser un diagnostic [11].
L’analyse histologique, bien que post mortem, apporte un diagnostic de certitude. Chez un chien sain, le cervelet représente plus de 10% de l’encéphale ; chez un chien atteint d’une dégénérescence corticale cérébelleuse, il représente en moyenne entre 5 et 7% uniquement. Des sections du cervelet colorées à l’haematoxyline et à l’éosine montrent un nombre réduit des cellules de Purkinje ou des changements dégénératifs dans les cellules granulaires [8].
La dégénérescence corticale cérébelleuse est une maladie héréditaire pour certaines races. Pour certaines d’entre elles (ex : American Staffordshire terrier, …), un test génétique existe déjà et permet de confirmer la maladie. Il est donc important d’éviter la reproduction des chiens atteints de cette maladie. A ce jour, il n’existe pas de test génétique chez Staffordshire Bull Terrier.
La dégénérescence corticale cérébelleuse est une maladie dégénérative mais non douloureuse. Malheureusement, aucun traitement n’existe et le propriétaire devra prendre une décision quand la qualité de vie de son chien n’est plus satisfaisante.
- M. L’ataxie cérébelleuse de l’américan staffordshire terrier. Le Point Vétérinaire. 2009, 40 (292), 16-17.
- de Lahunta. Abiotrophy in domestic animals: a review. Can J Vet Res 1990; 54: 65-76
- Speciale, A. de Lahunta. Cerebellar Degeneration in a Mature Staffordshire Terrier. Journal of the Americain Animal Hospital Association. 2003. 39(5):459-62.
- https://genodog.fr/maladies-affections/abiotrophies-corticales-cerebelleuses-2/ .
- Steinberg et al. Clinical features of inherited cerebellar degeneration in Gordon Setters: Journal of the American veteran medical association. 1981. 179: 886-890.