Troubles de la flottaison chez le poisson

Dr Jennyfer THIBAUD, Dr Adeline LINSART (CHV Saint-Martin), Dr Emmanuel MEUNIER (Vetofish)

Un poisson rouge âgé d’environ 10ans, est présenté à l’unité NAC du CHV Saint-Martin pour des troubles de flottaison évoluant depuis plusieurs mois. Les propriétaires décrivent des mouvements non contrôlés accompagnés de difficultés de flottaison.

Photo 1 : Paillette dans son aquarium

Le mode de vie du patient est adapté, en collectivité avec deux autres poissons, dans un aquarium spacieux (2m x 1m50) et bien agencé (abris, enrichissement via des plantes naturelles). Les paramètres physico-chimiques de l’aquarium sont bons. Les deux congénères sont en excellente santé.

Notre patient a fait une chute hors de l’aquarium survenue il y a environ 5 ans. Cette chute de plus de 1m50 n’a cependant pas été suivie d’anomalies de la mobilité et de la flottaison du poisson.

L’examen clinique à distance met en évidence une flottaison non contrôlée : le poisson coule en nageant vers le fond de l’aquarium, nage la tête en bas « negative floating » malgré ses efforts. Une asymétrie de la silhouette est visible, se traduisant par une déviation à gauche de la nageoire caudale. L’abdomen du patient semble de taille normale et bien symétrique.

QUESTIONS
  1. Quel est le diagnostic différentiel des troubles de la flottaison chez un poisson ?
  2. Qu’est-ce que la vessie natatoire, et quel est son rôle ?
  3. Quelles sont les origines des troubles squelettiques chez le poisson ?

RÉPONSES
1. Quel est le diagnostic différentiel des troubles de la flottaison chez un poisson ? [1] [2]
  • Une atteinte de la vessie natatoire :
    • Une pathologie inflammatoire, infectieuse ou encore tumorale de la vessie natatoire (d’origine virale, fungique, parasitaire ou bactérienne). Ces affections provoquent un épaississement de la paroi de la vessie natatoire compromettant ainsi les échanges de gaz et l’élasticité de celle-ci,
    • Une hernie, un déplacement ou encore une dilatation anormale de la vessie natatoire induite par un traumatisme, une constipation, une organomégalie (kystes rénaux, rétention d’œufs chez la femelle…) ou encore une malformation génétique,
  • Une atteinte squelettique dont :
    • Une malformation squelettique due à une sélection génétique abusive ou à de la consanguinité,
    • Un traumatisme pouvant induire une déformation du squelette (notamment le rachis),
    • Une atteinte osseuse ou musculaire provoquée par une carence alimentaire, une bactérie ou encore une intoxication alimentaire,
  • Un excès de gaz dans le tube digestif pouvant être provoqué par :
    • Une alimentation en surface qui peut conduire à un excédent d’air dans la vessie natatoire lorsque l’animal s’alimente, il est ainsi recommandé de faire couler la nourriture pour limiter l’aérophagie,
    • Une alimentation de basse qualité induisant une augmentation de la fermentation dans le tractus digestif, conduisant à une trop grande quantité d’air dans les intestins,
  • Un trouble neurologique induit par :
    • Une affection au niveau de l’oreille interne ou du système nerveux du poisson (cerveau, moelle épinière, innervation de la vessie natatoire…).

 

Des radiographies sont effectuées afin d’évaluer la forme, la taille et l’aspect de la vessie natatoire, ainsi que les anomalies squelettiques et les malformations du patient [3].

Afin de réaliser des radiographies, nous avons placé le patient dans un gant powder free préalablement humidifié afin de faciliter sa manipulation. Nous avons réalisé deux clichés orthogonaux, un cliché de profil latéro-latéral et un cliché de face dorsoventral.

Photo 2 : Radiographie de profil

Photo 3 : Radiographie de face

2. Qu’est-ce que la vessie natatoire, et quel est son rôle ?

La vessie natatoire ou vessie gazeuse est un organe issu d’une invagination de l’œsophage : elle se présente comme un sac à paroi mince rempli de gaz, situé dans l’abdomen de certains poissons osseux sous la colonne vertébrale, Photo 4. Elle est reliée à un large réseau de vaisseaux sanguins, ce sont ces mêmes vaisseaux qui transmettent le gaz depuis les branchies jusqu’à la vessie natatoire pour prendre ou perdre du volume, ce qui modifie la flottabilité du poisson.

Pour augmenter sa flottabilité, la vessie natatoire se charge en air, le poisson remonte vers la surface. A l’inverse, pour diminuer sa flottabilité, celle-ci se vide et le poisson « coule » vers le fond de l’aquarium. Sa fonction principale est de compenser le poids des tissus lourds (principalement les os) [4] [5].

Photo 4 : Vessie natatoire

La silhouette de la vessie natatoire de notre patient est d’apparence normale sur les clichés radiographiques. Son volume est normal, il n’y a pas de signes  de hernie, déplacement, dilatation, opacification ou rupture.

L’étude radiographique du squelette du patient met, quant à elle, en évidence une déviation prononcée de la colonne vertébrale, une scoliose.

3. Quelles sont les origines des troubles squelettiques chez le poisson ?

Ils peuvent être d’origine infectieuse, génétique, nutritionnelle ou encore toxique.

Les mycobactéries : notamment Mycobacterium marinum. La tuberculose du poisson est connue pour induire des ulcérations et des nodules cutanés ainsi que des lésions squelettiques (déformation de la colonne). Les poissons s’infectent suite à la consommation de nourriture ou d’eau contaminée. Cette maladie est une zoonose fréquente chez les aquariophiles. Cette bactérie se diagnostique chez le poisson par un examen microscopique de frottis lésionnels après coloration de Ziehl-Nielsen ou par culture. En raison de la haute résistance de ces bactéries, il n’existe pas de protocoles thérapeutiques efficaces à 100% [6].

Des mutations génétiques peuvent induire l’apparition d’une scoliose idiopathique chez certains poissons. Ce mécanisme a d’ailleurs été mis en évidence chez le poisson zèbre au cours de multiples études : une mutation du gène Dstyk, par exemple, peut entrainer une « congenital scoliosis—like vertebral malformation » [8].

Des carences nutritionnelles en tryptophane, magnésium, phosphore, vitamine C et acides gras essentiels peuvent induire des scolioses ainsi que des lordoses chez les poissons [7].

L’ingestion prolongée ou à forte dose de produits toxiques comme le plomb, le cadmium, la leucine, la vitamine A ou encore l’huile de poisson oxydée peut conduire à des déformations squelettiques [7].

NB : Pouvons-nous proposez un traitement ?

Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun traitement médical ou chirurgical dans le cas d’une scoliose chez le poisson. Différents dispositifs ont été proposés par des passionnés, avec plus ou moins de succès :

Il est possible d’améliorer la flottabilité du patient en créant une « chaise flottante » à l’aide de tubes en plastique.

Photo 5 : Dispositif flottant aussi appelé « chaise flottante »

Ce dispositif ne fonctionne qu’après de minutieux réglages consistant à alourdir une partie des tubes avec de l’eau et des lests, et à alléger une autre partie des tubes avec de l’air.

Le deuxième dispositif utilisé ici est un lest accroché à la queue du poisson permettant de faire basculer vers le fond de l’aquarium la partie caudale du poisson.

Photo 6 : Dispositif consistant en un lest placé au niveau de la queue du patient

Ces dispositifs étant en contact permanent avec les écailles du poisson, le risque d’ulcérations cutanées et donc de complications infectieuses secondaires est élevé, le poisson doit être surveillé très régulièrement.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Holland, M. F., & Frank, P. M. (2006). What is your diagnosis? Disorder of the swim bladder. Journal of the American Veterinary Medical Association229(8), 1247–1248. https://doi.org/10.2460/javma.229.8.1247
  2. Wildgoose’ WH (2007) Buoyancy disorders of ornamental fish: a review of cases seen in veterinary practice. Fish Veterinary Journal (9), 22-27
  3. Love, N. E., & Lewbart, G. A. (1997). Pet fish radiography: technique and case history reports. Veterinary radiology & ultrasound: the official journal of the American College of Veterinary Radiology and the International Veterinary Radiology Association, 38(1), 24–29. https://doi.org/10.1111/j.1740-8261.1997.tb01598.x
  4. Fänge R. (1983). Gas exchange in fish swim bladder. Reviews of physiology, biochemistry and pharmacology, 97, 111–158. https://doi.org/10.1007/BFb0035347
  5. Lindsey, B. W., Smith, F. M., & Croll, R. P. (2010). From inflation to flotation: contribution of the swimbladder to whole-body density and swimming depth during development of the zebrafish (Danio rerio). Zebrafish, 7(1), 85–96. https://doi.org/10.1089/zeb.2009.0616
  6. Hashish, E., Merwad, A., Elgaml, S., Amer, A., Kamal, H., Elsadek, A., Marei, A., & Sitohy, M. (2018). Mycobacterium marinum infection in fish and man: epidemiology, pathophysiology and management; a review. The veterinary quarterly, 38(1), 35–46. https://doi.org/10.1080/01652176.2018.1447171
  7. Tacon, A.G.J. Pathologie nutritionnelle des poissons.
    Signes morphologiques des carences et intoxications alimentaires chez les poissons d’élevage. FAO Document technique sur les pêches. No. 330. Rome, FAO. 1995. 77p.
  8. Sun, X., Zhou, Y., Zhang, R., Wang, Z., Xu, M., Zhang, D., Huang, J., Luo, F., Li, F., Ni, Z., Zhou, S., Chen, H., Chen, S., Chen, L., Du, X., Chen, B., Huang, H., Liu, P., Yin, L., Qiu, J., … Chen, L. (2020). Dstyk mutation leads to congenital scoliosis-like vertebral malformations in zebrafish via dysregulated mTORC1/TFEB pathway. Nature communications, 11(1), 479. https://doi.org/10.1038/s41467-019-14169-z
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