Ophtalmologie : Quel est votre diagnostic ?

Dr Léo BEUFFE (Université Vétérinaire de Liège), Dr Thomas DULAURENT (CHV Saint-Martin), Dr Pierre-François ISARD (CHV Saint-Martin)

Moka, femelle stérilisée croisée labrador de 1an a été présentée en consultation d’ophtalmologie pour l’évaluation d’une tuméfaction de l’œil droit survenue de façon brutale suite à une promenade la veille.

La chienne est abattue, dysorexique et présente une rougeur associée à un gonflement de l’œil droit.

En raison d’une très forte douleur oculaire et péri-oculaire, la prise en charge a d’abord consisté en l’administration de morphine 0,3mg/kg SC et en la réalisation d’une sédation pour réaliser un examen ophtalmologique (Image1) et une échographie (Image 2) dans le but d’évaluer l’intégrité de l’œil.

QUESTIONS

1. Quelles sont les lésions notables à l’examen ophtalmologique ainsi qu’à l’échographie ?

2. Quelle origine peut être suspectée et quel examen complémentaire serait-il pertinent de réaliser ?

3. Quel est le traitement à envisager et quel est le pronostic fonctionnel de l’œil atteint ?

RÉPONSES
1. Quelles sont les lésions notables à l’examen ophtalmologique ainsi qu’à l’échographie ?

L’œil droit présente une forte tuméfaction et reste clos traduisant une forte douleur oculaire. La vision est difficile à évaluer étant donnée la douleur et la modification morphologique de l’œil droit.

L’examen ophtalmologique réalisé sous sédation (médétomidine et kétamine IM) et analgésie (morphine) révèle un chémosis associé à un épiphora muqueux. Les conjonctives palpébrales et bulbaires sont hémorragiques. La cornée semble intègre et ne présente pas d’opacité. Un hyphema est visible et altère la transparence de la chambre antérieure. Un myosis sévère empêche l’examen du segment postérieur.

L’image échographique de l’œil droit confirme la présence d’un hyphéma par une hyper-échogénicité dans le segment antérieur. L’organisation du segment postérieur est particulièrement modifiée. L’image révèle un épaississement très marqué de la rétine et de la choroïde, par ailleurs décollées. La forme du pole postérieur est modifiée : la sclère est écrasée et sa convexité postérieure est altérée.

Le diagnostic lésionnel est donc une panuvéite (iridocylo-choroïdite) très sévère, associée à un décollement rétinien et un décollement choroïdien. La déformation du pôle postérieur est compatible avec une rupture de la sclère.

2. Quelle origine peut être suspectée et quel examen complémentaire serait-il pertinent de réaliser ?

Le caractère suraigu de l’atteinte, la nature très fortement inflammatoire et douloureuse des lésions doivent faire suspecter prioritairement une atteinte traumatique. Un coup de pied de cheval ou de bovin doit être évoqué, ainsi qu’un traumatisme par arme à feu, surtout dans un environnement rural.

La présence d’un corps étranger métallique (projectile d’arme à feu), est la plupart du temps visible à l’échographie par l’écho caractéristique qu’il génère (image en queue de comète, image 3). Ici, aucune image de ce type n’a été observée. Néanmoins, devant la probabilité d’un traumatisme par arme à feu, une radiographie de la tête a été réalisée et a révélé la présence d’une balle (image 4). La radiographie est l’examen de choix pour la mise en évidence d’un corps étranger métallique dans la cavité orbitaire.

3. Quel est le traitement à envisager et quel est le pronostic fonctionnel de l’œil atteint ?

Le traitement envisagé a consisté en l’administration générale d’antibiotiques (Amoxicilline et Acide Clavulanique, 12.5 mg/kg PO, BiD 10 jours) et d’antiinflammatoires non stéroïdiens (Méloxicam, 0,1 mg/kg PO, SiD 10 jours. Un traitement local à base d’antibiotiques et d’antiinflammatoires stéroïdiens (Néomycine / Polymyxine B / Dexamethasone alcool en collyre, QiD, 1 mois), ainsi qu’un traitement cycloplégique (Atropine 1% Collyre, TiD, une semaine, puis SiD une semaine supplémentaire) ont été prescrits en complément.

L’approche chirurgicale consistant à extraire la balle a été déconseillée devant le trop grand risque de détériorer le globe oculaire en retirant le corps étranger. Par ailleurs, la présence d’un projectile d’arme à feu dans la cavité orbitaire représente un faible risque d’absorption de plomb par l’organisme (saturnisme). En effet, les projectiles d’arme à feu sont très souvent nickelés, ce qui prévient la diffusion du plomb.

Le pronostic pour la conservation de la vision est mauvais en raison des dégâts considérables du segment postérieur (décollements rétinien et choroïdien). Le pronostic pour la conservation du globe oculaire est réservé en raison du très grand risque d’évolution vers la phtisie.

Le pronostic vital est bon, dans la mesure où aucun organe vital n’a été touché.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  • SANSOM J. LABRUYERE J. Penetrating ocular gunshot injury in a Labrador retriever. Vet Ophthalmol. 2012
  • TELLE MR. BETBEZE C. Hyphema: Considerations in the Small Animal Patient. Top Companion Anim Med, 2015.
  • GELATT K. N., et al, Veterinary ophthalmology, fifth edition, Wiley-Blackwell, Vol 2.

 

Note:
La chienne Moka dont le cas est présenté ici, fait partie des victimes d’un groupe de trois individus ayant aussi tiré sur des promeneurs et un pêcheur sur la commune de Villaz en septembre 2017. Les trois malfaiteurs pensaient tirer sur des homosexuels et ont expliqué avoir fini par tirer sur des promeneurs et un chien par désœuvrement. Ils ont depuis été jugés.