Médecine Interne : Quel est votre diagnostic ?

Dr Marianne HIDALGO, Dr Gregory BOUILLET, Dr Anne-Charlotte BARROT (CHV Saint-Martin)

Une chienne entière Cavalier King Charles (CKC) de 2 ans est présentée en consultation d’urgence pour détresse respiratoire dans un contexte de troubles respiratoires évoluant depuis 2 mois.

Deux mois auparavant, la chienne présente un épisode de difficultés respiratoires amélioré après une injection de dexaméthasone. Un mois plus tard, une perte de poids, de la tachypnée et un discret abattement sont observés. Un traitement antibiotique (amoxicilline et acide clavulanique) et antiparasitaire (milbémycine oxime et praziquantel) est commencé mais ne permet pas d’amélioration. La semaine précédant son admission, la chienne présente une toux faible et productive 2 à 3 fois par jour. À l’admission, la chienne est en détresse respiratoire sévère avec des muqueuses cyanosées. Une dyspnée mixte associée à des bruits respiratoires augmentés est mise en évidence. Sa note d’état corporel est de 2/5. Le reste de l’examen clinique est sans anomalie.

Des radiographies du thorax sont réalisées (figures 1 et 2).

Figure 1 : Radiographie du thorax vue de profil droit

Figure 2 : Radiographie du thorax vue ventro-dorsale

QUESTIONS / RÉPONSES
1 . Interprétez les radiographies du thorax – Quels sont les hypothèses diagnostiques à envisager au vu de ces radiographies ?

RÉPONSE

Au niveau des structures extra thoraciques, nous observons un contenu aérique dans l’estomac.

Au niveau des structures intrathoraciques, nous notons aucune anomalie au niveau de l’espace pleural, du médiastin et au niveau des structures cardiovasculaires (indice de Buchanan à 9,6). Au niveau du parenchyme pulmonaire, nous observons une opacification interstitielle diffuse sévère et plus marquée aux lobes caudaux dorsaux. Des zones multifocales d’opacifications alvéolaires sont observées et masquent par endroits la silhouette cardiaque (figure 3).

Figure 3 : Radiographie du thorax vue de profil droit légendée

L’affection est localisée aux voies respiratoires profondes (bronches, bronchioles, alvéoles, parenchyme pulmonaire). L’œdème aigu du poumon cardiogénique est exclu par une auscultation cardiaque sans anomalie et des structures cardio-vasculaires normales aux radiographies. Le chien est jeune et ne fait pas parti des races prédisposées pour les causes inflammatoires (bronchite éosinophilique…), dégénératives et néoplasiques. L’œdème aigu du poumon non cardiogénique, des coagulopathies et des causes traumatiques semblent moins probables du fait de la chronicité des évènements. Le contexte anamnestico-clinique nous oriente donc vers une pneumonie infectieuse.

Une pneumocystose est notamment considérée au vu de l’âge, la race, des signes cliniques et de l’absence de réponse au traitement antiparasitaire et antibiotique probabiliste. En effet, une nette prédisposition à cette maladie chez les CKC d’environ 3 ans (37,2 % des cas) mais aussi des teckels miniatures de moins d’un an (39,5% des cas) est rapportées [1,2]. Il semblerait que ces races soient sujette à des immunodéficiences primaires favorisant l’infestation par le champignon Pneumocytis sp. habituellement commensal dans les voies respiratoires des chiens [1]. Les pneumonies à Pneumocystis restent rare avec seulement 40 cas décrits dans la littérature entre 1955 et 2017 [2]. Elles sont à l’origine de signes cliniques non spécifiques : troubles respiratoires chroniques et amaigrissement parfois associés à de la toux et de l’hyperthermie [1,2].

2 . Quels sont les examens complémentaires à réaliser pour affiner le diagnostic ?

RÉPONSE

Un hémogramme montre la présence d’une discrète leucocytose neutrophilique, d’une monocytose et d’une thrombopénie modérée. Le frottis sanguin montre une macrothrombopénie physiologiques chez le CKC. Un test sérologique pour Angiostrongylus vasorum (Angio Detect®) est négatif. Un lavage bronchoalvéolaire (LBA) est réalisé au cours d’une trachéobronchoscopie. Sur ce prélèvement, la cytologie révèle la présence de trophozoïtes de Pneumocystis sp (figure 4).

Figure 4 : Cytologie du LBA : neutrophiles (flèche bleue), macrophages (flèche noire),trophozoïtes de Pneumocystis sp. (flèche bleue foncée)

Cette technique est le gold standard pour le diagnostic de pneumocystose en médecine vétérinaire [1,2,3] mais elle présente une sensibilité variable (32 à 80 % de faux négatifs chez l’Homme) [2].
En médecine humaine, la PCR est plus sensible (> 82% ), des recherches sont en cours sur un développement de PCR chez le Chien [4,5].
Des dosages des IgG et des IgM sont réalisés pour l’exploration de la déficience immunitaire. En effet, une étude chez 9 CKC atteints de pneumocystose montre une concentration significativement supérieure en IgM et inférieure en IgG comparés à des CKC sains. Également, pour les deux groupes, les taux en IgG sont inférieurs aux valeurs de référence des chiens adultes non CKC alors que le taux de lymphocytes reste normal. Ces données suggèrent une incapacité des lymphocytes B à produire des IgG efficacement chez les CKC atteints [6]. Dans le cas décrit, nous observons un taux d’IgM élevé (4,2 mg/mL, VU 0,7-2,7), alors que la concentration en IgG est dans les valeurs usuelles basses (7,1 mg/mL, VU 5-17). La concentration en IgG de notre cas est incluse dans les intervalles rapportés pour le groupe sains (4,8-17 mg/mL) et malades (1,2 à 8 mg/mL) de CKC mais est inférieure à celles des chiens adultes d’autres races (10-20 mg/mL) [6]. L’immunodéficience primaire ne peut donc pas être confirmée pour notre patient mais est fortement suspectée.

3 . Quels traitements proposez-vous ?

RÉPONSE

Des soins de soutien doivent être initiés en cas de détresse respiratoire. Dès son admission la chienne est donc mise sous oxygène en cage et des injections intraveineuses de butorphanol sont répétées toutes les 2 heures.
Le traitement de choix pour la pneumocystose est une association sulfamide et triméthoprime (15 mg/kg 3 fois par jour ou 30 mg/kg 2 fois par jour) pendant 3 semaines [1,2]. Il doit être mise en place très rapidement en cas de forte suspicion amnestico-clinique du fait du caractère mortelle de la maladie. En effet, le taux de mortalité moyen est de 62 %. [2]. L’administration en parallèle de glucocorticoïdes à dose anti-inflammatoire pourrait augmenter la survie [1,2]. Après traitement, des récidives sont possibles [6].
Malheureusement, notre cas est décédée après 48H.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Lobetti R. Pneumocystosis. In: Sykes JE, ed, Canine and feline infectious diseases. St Louis : Elsevier ; 2014 : 686–92.
  2. Weissenbacher-Lang C et coll. Pneumocystosis in dogs: meta-analysis of 43 published cases including clinical signs, diagnostic procedures, and treatment. J Vet Diagn Invest. 2018 ; 30: 26–35.
  3. Sukura A et coll. Pneumocystis Carinii Pneumonia in Dogs -a Diagnostic Challenge. J Vet Diagn Invest. 1996 ; 8 : 124–30.
  4. Danesi P et coll. Molecular diagnosis of Pneumocystis pneumonia in dogs. Med Mycol. 2017 ; 55 : 828–2.
  5. Petini M et coll. Nested–polymerase chain reaction detection of Pneumocystis carinii f. sp. canis in a suspected immunocompromised Cavalier King Charles spaniel with multiple infections. SAGE Open Med Case Rep. 2019 ; 7
  6. Watson PJ et coll. Immunoglobulin Deficiency in Cavalier King Charles Spaniels with Pneumocystis Pneumonia. J Vet Intern Med. 2006 ; 20 : 523–7.