Johnson JC and Burn CC. Lop-eared rabbits have more aural and dental problems than erect-eared rabbits: a rescue population study. Veterinary Record (2019) doi:10.1136/ vetrec-2018-105163

Relecture par les Drs Adeline LINSART, Laetitia GARBAY, Thomas SIBARITA (CHV Saint-Martin)

Les lapins à oreilles tombantes ont plus de problèmes auditifs et dentaires que les lapins à oreilles droites (?)

Ce postulat est communément admis dans la communauté scientifique mais il n’existe pas d’études s’intéressant spécifiquement à cette question chez le lapin de compagnie. Charles Darwin notait dès 1868 que les oreilles tombantes chez le lapin étaient associées à des altérations de la morphologie du crâne. Une étude sur la cytologie auriculaire du lapin, conduite en 2014 par Quinton et al n’a pas mis en évidence de différences entre lapins à oreilles tombantes et lapins à oreille droite. Plus récemment, une étude menée sur 167 lapins en Finlande n’a pas mis en évidence de lien entre le caractère « oreilles tombantes » et une plus forte fréquence de troubles dentaires. Au contraire, la race Tête de Lion (caractérisée par une brachycéphalie mais avec des oreilles droites) était surreprésentée parmi les individus souffrant de problèmes dentaires. Cette étude concernait cependant des lapins sains recrutés auprès de propriétaires volontaires. Un biais de recrutement est possible.

L’étude de Johnson et Burn a été menée en refuge sur 30 lapins (15 oreilles tombantes et 15 oreilles droites) disposant de conditions de vie et d’alimentation similaires. Les animaux étaient d’abord examinés à distance (secousse de la tête, grattage de l’oreille) puis un examen clinique rapproché était réalisé, avec utilisation d’un otoscope.

Les critères évalués étaient les suivants :

Examen des oreilles
  • Symétrie des conduits auditifs externes à la palpation (absence de déformation).
  • Sténose du conduit auditif externe
  • Signes de douleur à l’examen de l’oreille
  • Erythème du conduit auditif externe
  • Signes compatibles avec du grattage des oreilles (squames, dépilations, rougeurs)
  • Présence de levures à la cytologie du conduit auditif externe (2 échantillons par conduit)
Examen de la cavité bucale
  • Anomalie des incisives
  • Anomalie des dents jugales
  • Anomalie des surfaces occlusales, sans spicules associées
  • Présence de spicules sur les dents jugales
  • Présence de plaies à l’intérieur de la cavité buccale
  • Signes de douleur à l’examen de la cavité buccale
  • Epiphora
  • Hypersalivation
  • Recherche de signes indirects, compatibles avec une maladie dentaire : pelage altéré, troubles de la caecotrophie

A la suite de l’examen clinique, les dossiers médicaux des lapins étaient également étudiés et les informations étaient inclues dans l’étude.

La population de lapins étudiée pouvait être décrite ainsi :

Résultats concernant les troubles auditifs

Les analyses statistiques mettent en évidence 43 fois plus de risques de présenter une sténose du conduit auditif externe (CAE) et 15 fois plus de risques d’avoir des signes de douleur de l’oreille chez les lapins à oreilles tombantes. Ces derniers ont également un score d’érythème du CAE significativement plus élevé que les lapins à oreilles droites. L’excès de cérumen observé dans les CAE concerne également 14 des 15 lapins à oreilles tombantes et seulement 3 des 15 lapins à oreilles droites.

Il n’existe pas de différence significative entre les deux échantillons concernant les signes de grattage, le squamosis auriculaire ou les dépilations auriculaires ainsi que la cytologie auriculaire. Ce dernier résultat est semblable à l’étude publiée par Quinton en 2014.

L’analyse statistique a également été menée en considérant la morphologie du crâne (brachycéphale, mésocéphale, dolichocéphale) : il n’existe pas de différences significatives entre individus brachy, méso ou dolichocéphales.

Résultats concernant les troubles dentaires

Les lapins à oreilles tombantes présentent 23 fois plus d’anomalies des incisives et des risques élevés d’anomalies des dents jugales (12 fois plus d’élongation coronaire des dents jugales, 13 fois plus de risques d’anomalies des surfaces occlusales des dents jugales). 8 des 15 lapins à oreilles tombantes ont mention de problèmes dentaires dans leur dossier médical contre aucun des lapins à oreille droite.

Il n’existe pas de différences significatives entre oreilles tombantes et oreilles droites pour les critères suivants : hypersalivation, plaie à l’examen de la cavité buccale, altération du pelage, trouble de la caecotrophie.

Les anomalies liées à la morphologie « oreilles tombantes » peuvent être résumées ainsi que les risques associés :

L'AVIS DU CHV SAINT-MARTIN

Bien que régulièrement incriminé, le lien entre oreilles tombantes et troubles auditifs et dentaires n’avait jamais été objectivé. Bien que cette étude ne concerne que 30 lapins, elle permet de disposer d’arguments objectifs pour prévenir éleveurs et adoptants des risques liés à la sélection de ces individus. A l’heure où les vétérinaires s’impliquent dans la lutte contre les hypertypes, les résultats de cette étude méritent d’être largement diffusés.

Fiches pratiques éditées par l’Ordre des Vétérinaires et destinées au grand public.

Les lapins à oreilles tombantes ont acquis, par la sélection humaine, un excédent de tissu mou d’environ 3 à 5 mm, situé à la base de l’oreille, entre le cartilage du méat acoustique proximal  et le tragus, ce qui entraîne le pli du pavillon auriculaire et donc le port tombant. Chez le chien, il est démontré que les oreilles tombantes sont associées à une plus grande fréquence des otites externes. L’étude de Johnson et Burn tend à confirmer cette tendance chez le lapin puisque l’accumulation de cerumen, l’érythème et la sténose du conduit auditif externe sont significativement plus élevés chez les lapins à oreilles tombantes. Cela suggère également que la douleur, la déficience auditive voire la surdité sont probables chez ces animaux, ce qui porte atteinte à la qualité de vie.

A et B : Conduit auditif normal chez un lapin à oreille droite. D et E : Otite et Sténose du conduit auditif externe

L’oreille tombante et l’accumulation de cérumen constituent un obstacle à la transmission du son. De plus, la mobilité du pavillon auriculaire étant perdue, la localisation spatiale des sons est diminuée. Enfin, le port des oreilles est une composante essentielle du langage corporel du lapin. L’ensemble de ces facteurs peut déboucher sur des comportements agressifs, synonymes de mal-être, qui auront des conséquences sur l’équilibre du groupe (relation intra et interspécifiques).

Les lapins recueillis en refuge peuvent-ils être représentatifs de la population générale ?

La population étudiée est de taille réduite : 30 individus qui sont recueillis et élevés dans le contexte particulier des refuges. Cela ne peut être représentatif de la population de lapins présente en Angleterre. Cependant, cela permet de disposer d’un groupe d’animaux où les facteurs nutritionnels et environnementaux sont identiques durant toute la durée de l’étude. Cela permet également que le stress du déplacement dans la structure vétérinaire n’influence pas les résultats de l’examen à distance (grattage de l’oreille, secousse de la tête) puisque l’examen peut être mené sur le site même du refuge. Les auteurs reconnaissent que l’historique médical des lapins recueillis est mal connu (dossier médical plus ou moins complet). Des antécédents de traumatismes, d’affections respiratoires chroniques ou tout autre facteur peuvent influencer la survenue de troubles dentaires ou auditifs ne sont pas renseignés.

Des examens d’imagerie auraient permis de dépister plus de lésions et de conforter les résultats de l’étude

Cette étude ne repose que sur des observations cliniques : les troubles auditifs et dentaires sont donc le plus probablement sous-estimés tant chez les lapins à oreilles tombantes que chez les lapins à oreilles droites. Si des examens d’imagerie du crâne avaient été obtenus, il aurait sans doute été possible d’augmenter la liste des risques associés avec la morphologie « oreilles tombantes ».

De plus, l’implication de la morphologie du crâne (brachy/méso/dolichocéphale) ne peut être commentée ici : en effet, la taille de la population est insuffisante et nous ne disposons pas d’examens d’imagerie permettant de caractériser les différentes anomalies osseuses et les conséquences lésionnelles. Dans l’étude de Mäkitaipale, ce sont bien les examens d’imagerie qui ont permis de dépister de nombreuses lésions chez des individus présentés comme sains par leurs propriétaires. Une race brachycéphale mais à oreille droite était surreprésentée : le lapin tête de lion.

La recommandation de notre équipe

L’interrogatoire des propriétaires et l’examen clinique doivent être minutieux et complets, quelque soit le motif de consultation. L’examen à l’otoscope des dents et des oreilles du lapin doit être systématique. Il convient également de palper consciencieusement les conduits auditifs externes et les reliefs osseux du crâne. Toute déformation, douleur ou asymétrie doit être prise en compte.

Déformation CAE – Abcès base CAE

Une attention particulière doit être portée aux réflexes oculaires, à la sensibilité faciale et labiale, à la déglutition. La symétrie faciale doit être évaluée attentivement. Une hypersalivation, une perte de poids inexpliquée, une dysorexie peuvent constituer des signes d’appel d’une atteinte dentaire ou auditive.

Une imagerie est recommandée à la moindre anomalie détectée. L’étude de Mäkitaipale montrait que 70% des lapins présentés comme sains étaient en fait malades une fois le bilan de santé et les examens complémentaires effectués. Ce score s’élevait à 80% chez les animaux de plus de 3 ans.

La radiographie du crâne peut être utilisée en première intention. Plusieurs incidences avec un positionnement parfait sont cependant nécessaires. Les clichés doivent être réalisés sous anesthésie générale ce qui augmente le coût et le risque pour le patient. L’interprétation est délicate du fait de la superposition des structures.

Lorsque cela est possible, il convient de privilégier l’examen tomodensitométrique de la tête : il est en effet bien plus sensible que la radiographie pour la recherche de lésions des bulles tympaniques, l’évaluation des racines dentaires ou le dépistage de lésions osseuses subtiles. Il permet également de rechercher/confirmer un facteur favorisant : sténose des conduits chez les lapins béliers, présence d’une rhinite concomitante, rétrécissement de la lumière du conduit auditif associé à une métaplasie, une masse (polype, tumeur, kyste sébacé…).

Nous recommandons de proposer cet examen d’imagerie dès que possible chez le lapin bélier, les signes d’une atteinte dentaire ou auditive débutante étant le plus souvent absents ou très subtils.

Scanner de lapin belier : conduits auditifs externes
étroits et comblés par du matériel

Scanner de lapin belier : conduits auditifs externes
étroits et comblés par du matériel

Scanner de lapin à oreille droite : conduits auditifs
et bulles tympaniques sans anomalies
(excepté légère accumulation de matériel à gauche)

Scanner de lapin à oreille droite : conduits auditifs
et bulles tympaniques sans anomalies
(excepté légère accumulation de matériel à gauche)

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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