Les cils ectopiques
Dr Thomas DULAURENT, Dr Pierre-François ISARD (CHV Saint-Martin)
Une chienne Hovawart de 4 ans a été présentée en consultation d’ophtalmologie pour une douleur oculaire évoluant depuis 5 mois et ne répondant pas aux traitements médicaux prescrits jusqu’alors. Ces traitements consistaient en l’administration locale d’antibiotiques et d’antiinflammatoires stéroïdiens, en l’administration générale d’antiinflammatoires non stéroïdiens et en l’application locale d’une pommade lubrifiante. La chienne vivait dans le jardin. Aucun autre animal ne partageait le foyer avec le patient. Les vaccins étaient à jour.
Examen clinique :
L’examen clinique général n’a pas révélé d’anomalie. Les réponses aux tests visuels étaient normales à droite mais plus difficiles à mettre en évidence à gauche en raison d’une douleur vive manifestée par un blépharospasme sévère, une photophobie marquée et un écoulement oculaire séreux abondant. Après levée du blépharospasme par anesthésie locale (instillations répétées de chlorhydrate d’oxybuprocaïne, Cébésine®), les tests visuels ont pu être réalisés à gauche. Ils étaient normaux. Les réflexes photomoteurs étaient présents des deux côtés mais la pupille de l’œil gauche semblait davantage contractée. L’examen rapproché de l’œil droit n’a pas révélé d’anomalie. L’examen rapproché de l’œil gauche a révélé une discrète fibrose cornéenne, en nappe, dans la région dorsale de la cornée. Après éversion du bord libre palpébral supérieur, un cil ectopique émergeant du versant conjonctival de la paupière supérieure a été identifié.
Les cils ectopiques sont des structures ciliaires anormales localisées sur le versant conjonctival de la paupière supérieure ou plus rarement de la paupière inférieure. Le bulbe pileux est enchâssé dans la conjonctive et le cil émerge par un pertuis. Les cils ectopiques surviennent dans la plupart des cas chez des chiens âgés de moins de 2 ans mais ils peuvent apparaître plus tardivement selon un mécanisme inconnu, comme dans le cas présenté ici. Les races prédisposées sont le Flat Coat Retriever, le Pékinois, le Shi Tzu, le Caniche, le Carlin et le Jack Russel. Les cils ectopiques ont aussi été décrits dans d’autres espèces comme le cheval, le chat et l’être humain.
Uniques ou en toupets, les cils ectopiques sont souvent difficiles à diagnostiquer car ils sont de très petite taille. Pour autant, la localisation et la nature même des cils sont susceptibles de provoquer des lésions cornéennes souvent graves comme des ulcères de la cornée ou une fibrose cornéenne. L’irritation chronique de la cornée s’accompagne d’une douleur vive par stimulation des fibres nerveuses sensitives (nerfs ciliaires longs et courts issus de la branche ophtalmique du nerf trijumeau). La douleur représente d’ailleurs souvent le motif de consultation dans ce type de cas. Toute la difficulté réside alors dans l’observation du cil après la mise en évidence des lésions cornéennes. Il est nécessaire d’examiner le versant conjonctival de chaque paupière à l’aide d’un système grossissant (biomicroscope) en prêtant une attention particulière aux zones de conjonctives localisées en regard des lésions cornéennes lorsqu’elles existent. Le pertuis de conjonctive à travers lequel le cil émerge est parfois pigmenté, ce qui peut faciliter son observation au sein d’une conjonctive souvent non pigmentée. Par ailleurs, l’instillation de fluorescéine permet parfois de faciliter la mise en évidence du cil, ce dernier étant susceptible « d’accrocher » une goutte de colorant. Une fois le cil observé et le diagnostic établi, la prise en charge est systématiquement chirurgicale. Elle fait appel à une exérèse simple à l’aide d’un système grossissant. L’utilisation d’une pince à chalazion de Desmarres est recommandée car elle permet de limiter les saignements, la conjonctive étant une structure naturellement très richement vascularisée et sujette aux hémorragies iatrogènes gênantes pour observer les structures. Plusieurs rapports décrivent l’utilisation d’un biopsy-punch pour l’ablation de la conjonctive, du cil et de son bulbe. L’exérèse simple à l’aide d’un couteau à cornée est aussi possible. Une fois le cil supprimé, l’utilisation d’un thermocautère permet une hémostase définitive lorsque la pince à chalazion de Desmarres est retirée. La conjonctive cicatrise ensuite très rapidement par seconde intention. Le traitement médical post opératoire consiste en une antibioprophylaxie, en la lubrification de la surface oculaire et en la prise en charge de la douleur par l’administration générale d’antiinflammatoires non stéroïdiens. Le pronostic est la plupart du temps très favorable.
Ce cas illustre la nécessité de réaliser un examen très minutieux lors de douleur oculaire chronique. Une attention particulière doit être apportée aux annexes, souvent négligés lors de l’examen oculaire.
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