Le syndrome vestibulaire périphérique chez le chien : Comment le prendre en charge ?

Dr Antoine BERNARDÉ (CHV Saint-Martin)

Le syndrome vestibulaire est plus souvent d’origine périphérique que central, aussi bien chez le chien que chez le chat. Le syndrome vestibulaire périphérique (SVP) résulte d ‘une perturbation de la branche vestibulaire du nerf crânien VIII situé dans l’oreille interne.

Des causes métaboliques, médicamenteuses (usage de drogues ototoxiques au travers d’un tympan perforé), endocrinienne (hypothyroïdie), tumorales, ou traumatiques ont été rapportées. Chez le chien âgé, une forme idiopathique, le plus souvent auto-limitante, du syndrome périphérique est reconnue. Il s’agit d’une perturbation du système vestibulaire (tête penchée, circling, nystagmus…), périphérique (sans désorientation ou baisse de la vigilance, ni déficits posturaux ou proprioceptifs qui caractérisent plutôt un syndrome vestibulaire central). Aucune cause n’est identifiée et les signes cliniques se résolvent le plus souvent en 1 à 3 semaines.

Hormis les causes citées précédemment, une origine inflammatoire, post-infectieuse, est le mécanisme le plus souvent impliqué dans le SVP dans l’espèce canine. L’otite interne fait suite à une otite moyenne par contiguïté, elle-même le plus souvent consécutive à une otite externe. Ainsi chez le chien une triade centripète chronologique est souvent identifiée : otite externe chronique puis otite moyenne puis otite interne. Les 3 étages de l’oreille (externe-moyen-interne) sont ainsi impliqués dans les processus inflammatoires conduisant au SVP chez le chien. Il n’en est pas de même chez le chat, chez lequel l’otite interne du SVP fait plus souvent suite à une otite moyenne par développement d’un polype. Même si le polype s’étend (souvent) au travers du tympan dans la portion horizontale du conduit auditif externe (CAE), celui-ci est sain. Chez le chat, les étages moyen et interne seulement sont impliqués dans les processus inflammatoires conduisant au SVP tandis que le conduit auditif externe est épargné.

Une imagerie adaptée, par tomodensitométrie (CT-scan), permet de confirmer l’extension du processus inflammatoire, en cherchant à répondre aux questions suivantes chez le patient atteint de SVP : y-a-t-il confirmation d’une otite moyenne pouvant expliquer l’otite interne ? Le processus inflammatoire (infection ou tumoral) est-il confiné à la bulle tympanique, siège de l’oreille moyenne ? Peut-on considérer que le conduit auditif externe est intact ?

Parce que le conduit auditif externe est souvent intact chez le chat, le traitement chirurgical du SVB consiste dans cette espèce à résoudre l’otite moyenne, par exemple en extraire le polype et la suppuration associée. Cela peut être réalisé par myringotomie assistée par endoscopie, ou bien par bullotomie ventrale (attention de visiter les 2 chambres de la bulle qui est compartimentée chez le chat), ou par bullotomie latérale à la faveur d’une ouverture temporaire du conduit auditif externe. Le recours à la TECABO chez le chat ne se justifie que si le conduit auditif externe est contaminé par le processus infectieux ou tumoral.

Chez le chien, quand les 3 étages de l’oreille sont concernés par le processus pathologique, ce qui est le tableau lésionnel le plus souvent rencontré, la TECABO (ou TECALBO) (Total Ear Canal Ablation and Lateral Bulla Osteotomy) est la technique de choix. Il faut comprendre une ablation complète du conduit auditif externe (TECA) suivie d’une trépanation de la bulle tympanique par approche latérale (LBO) et évacuation complète de son contenu infecté. Cette technique a été décrite initialement à la fin des années 80 par Smeak DD et Dehoff WD (Vet Surg 1986;15:161–70) puis Mason LK, Harvey CE, et Orsher RJ (Vet Surg 1988;17:263–8). La trépanation latérale de la bulle tympanique s’effectue au travers du méat acoustique (ancien tympan le plus souvent effondré par le processus pathologique), agrandi par ostectomie répondant à des règles précises reposant sur des critères anatomiques, qui ont été bien documentés par Smeak DD et Inpanbutr N (Compend Contin Educ Pract Vet 2005;27:377–84). On comprend que l’abaissement de la portion verticale du conduit auditif externe (CAE), connue sous le nom de technique de Zepp, qui a longtemps été pratiquée, est un non-sens : elle ne résout en rien l’inflammation de la portion horizontale du CAE, ni de l’oreille moyenne. Il n’y a que chez le Shar-Pei, qui peut souffrir d’une sténose de la partie supérieure de la portion verticale du CAE, où cette technique trouve encore son intérêt, pour peu que l’on ait vérifié que les parties distales de l’oreille soient intactes.

Indications de la TECABO :

A cause du fort potentiel de complications, cette technique chirurgicale est réservé aux stades terminaux d’otites externes et moyennes, incluant les SVP des otites internes, et doit être réalisée par des mains expertes guidées par un cerveau ayant une très bonne connaissance des données anatomiques locales. Compte-tenu du fait que la plupart des chiens souffrant d’otites externes incoercibles présentent une atteinte concomitante de l’oreille moyenne, la TECA seule n’est pas appropriée : retirer le CAE sans éliminer de la bulle tympanique le matériel contaminé conduit à une catastrophe (abcès profond le plus souvent). L’extraction de tous les tissus infectés est la priorité du chirurgien, et cette technique doit être exhaustive sans nuire à l’environnement, notamment neurologique, de l’oreille.

Etapes de la technique :

On commencera toujours par extraire le CAE dans sa totalité en entamant la dissection dans sa partie supérieure. On réalise une incision cutanée en T ou Y, rejoignant les points crânial et caudal du tragus, le but étant de mettre à nue la portion supérieure de la portion verticale du CAE, puis on sectionnera aux ciseaux le pourtour de l’entrée du CAE (cf pointillés). Des saignements peuvent se rencontrer aux marges crâniale et caudale aisément stoppées par électrocautérisation.

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin

  • A partir de là, tirer le sommet de la corolle à soi et descendre la dissection en faisant tout le tour du cartilage. On peut utiliser le bistouri électrique monopolaire jusqu’à la jonction entre les portions verticale et horizontale du CAE, marquée par une démarcation reconnaissable.

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin

  • Poursuivre le même travail de dissection le long de la partie horizontale du CAE en s’attachant à rester tout contre le cartilage, en utilisant des ciseaux de Metzenbaum. A la rigueur, un bistouri électrique bipolaire peut être utilisé pour circonscrire des petits saignements, rares.
  • Une fois parvenu à la jonction entre le CAE et le crâne (entrée de la bulle), le CAE est sectionné aux ciseaux, au plus près du contact osseux, à l’aide de ciseaux forts, de l’arrière vers l’avant pour éviter tout risque de section du nerf facial (flèche bleue).

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin

  • Cette section fait apparaître l’entrée de la bulle où restent attachés des vestiges de cartilage qu’il convient de retirer en utilisant un rongeur ou une pince Kerrison. Dans certains cas, du matériel pathologique est visible dès ce stade dans la bulle qui devrait normalement être vide.

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin

  • Le tympan est toujours effondré ou inconsistant. Après résection des vestiges cartilagineux et muqueux du CAE, l’ostium osseux est plus ou moins agrandi par ostectomie ventrale (à la fraise ou à la pince Kerrison) pour faciliter le curetage de la bulle tympanique. Le curetage de la bulle tympanique, à la curette, doit être le plus complet possible sans toutefois être trop vulnérant : l’artère carotide interne court juste médialement à la paroi médiale de la bulle.

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin


Crédit : SMEAK, Comp Cont Ed 2005

  • Après curetage complet, les tissus sont abondamment rincés. J’utilise toujours une solution tiède de chlorhexidine 0,05%, non ototoxique à cette concentration. Après le dernier rinçage une analgésie locale par « splach » est réalisée à la bupivacaïne. La plaie est fermée de façon conventionnelle. Un drain est mis en place, à la discrétion du chirurgien.

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin

Précautions chirurgicales :

Au cours de la procédure, le chirurgien rencontrera successivement la glande salivaire parotide, qu’il convient d’aborder caudalement et de récliner en avant pour ne pas la séparer de son canal excréteur. Médialement à la portion verticale du CAE, on rencontrera des artérioles émanant de l’artère auriculaire, qui pourront être cautérisées au plus près du cartilage en cours de dissection. Le nerf facial, qui émerge du foramen stylo-mastoïdien, en arrière du méat acoustique est la principale préoccupation du chirurgien au cours de la procédure, dès lors qu’il aborde la portion horizontal du CAE. Ce nerf facial court caudalement et ventralement à cette portion du CAE. Pour limiter tout risque à son niveau (section, étirement), il convient de ne pas s’écarter du cartilage du CAE, de ne plus utiliser de bistouri électrique monopolaire à partir du moment où la portion horizontale du CAE est atteinte, de veiller à la position des écarteurs autostatiques, et, au moment de la section du CAE, de procéder à une section aux ciseaux forts de l’arrière vers l’avant. La veine rétroarticulaire, située en avant de la bulle tympanique, peut être sectionnée malencontreusement lors de la section du cartilage.

Complications :
  • Saignement : Ce risque est présent lors de la réalisation d’une TECABO par effraction involontaire de la veine rétroarticulaire qui court en avant de la jonction entre le CAE et la bulle. C’est au moment où le CAE est sectionné que cet incident peut se produire. Le plus souvent, la veine n’est pas visualisable et il faut tasser des compresses sur le site pour stopper le saignement, ce qui est obtenu en quelques minutes.
  • Gonflement des tissus et sérome : ce risque concerne surtout la TECABO. Il est limité par la mise en place d’un drain à dépression continue pendant quelques jours.
  • La paralysie du nerf facial est la complication majeure de la TECABO et se produit dans 5 à 10% des cas. Le risque est d’autant plus grand que la pathologie est sévère. La paralysie faciale se traduit par une impossibilité d’occlusion palpébrale, une hypoesthésie ou anesthésie de la face et une babine ipsilatérale pendante. Des larmes artificielles peuvent être nécessaires afin d’éviter le desséchement cornéen, jusqu’à ce que la paralysie nerveuse ai disparue. La membrane nictitante, commandée par le trijumeau reste cependant opérationnelle. Dans la plupart des cas, la paralysie n’est que temporaire et disparait dans les 2 mois.
  • Une douleur à l’ouverture de la gueule ou des difficultés à la mastication sont citées comme complications potentielles. Pour ma part, je n’ai jamais rencontré cette complication en post-opératoire, mais cette douleur a pu être rencontrée en pré-opératoire et j’ai tendance à penser que le processus pathologique en est responsable plutôt que l’acte chirurgical lui-même.
  • Le syndrome de Claude Bernard Horner (myosis, enophtalmie, ptose palpébrale, procidence de la 3èmepaupière) est rencontré transitoirement et quasi-systématiquement chez le chat, exceptionnellement chez le chien. Les propriétaires doivent en être prévenus. Sa résolution est constante, en 2 à 5 semaines.

Crédit : A. Bernardé CHV ST Martin

  • Le syndrome vestibulaire peut apparaitre car l’organe de l’équilibre est situé dans l’oreille interne. Moins de 2% des patients sont concernés, mais il est plus fréquent chez ceux qui avaient déjà ce genre de troubles ou une tête penchée.
  • Une récidive d’infection profonde accompagnée de douleur (tête penchée, plaintes à la palpation du site chirurgicale) peut se rencontrer, quelquefois plusieurs mois après la TECABO. La plupart du temps, elle est due à une excision incomplète du matériel contaminée d’où la nécessité de bien soigner la première approche chirurgicale. Retrouver le foyer d’infection lors d’une seconde approche s’avère extrêmement aléatoire.
Considérations diverses : esthétique et audition :

Les propriétaires sont souvent concernés par l’aspect esthétique après TECABO. Hormis le fait que la peau est complètement fermée (ce qui est bien moins impressionnant qu’après un abaissement du CAE / technique de Zepp), le port du pavillon de l’oreille n’est pas affecté, même chez les chiens à oreille dressée.

Une autre préoccupation des propriétaires est l’audition. Les chiens pourraient ré-entendre après TECABO (alors que souvent ils n’entendaient plus rien du fait de leur affection) et des potentiels évoqués auditifs ont été constatés. La peau jouerait le rôle de membrane tympanique capable de transmettre des informations auditives au nerf VIII.

CONCLUSION

La TECABO est la technique de choix dans le traitement des affections profondes de l’oreille du chien conduisant à un syndrome vestibulaire périphérique. Plus de 80% des sujets sont améliorés ou guéris. Cette chirurgie qui avait la réputation de chirurgie douloureuse et riche en complications est plutôt bien tolérée et pauvre en complications dès lors que des précautions techniques sont respectées.

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