Intoxication au chocolat chez un jeune chien adulte

Dr Edouard Wynckel – Dr Anais Jouet (CHV Saint-Martin) – Dr Anne-Charlotte Barrot (CHV Saint-Martin)

Anamnèse :

Nestor est un chien Fox terrier à poil dur mâle castré de 1 an, présenté environ huit heures après l’ingestion de 90 grammes de chocolat noir 70%.

Examen clinique :

A son admission, Nestor présente une bradycardie (40 battements par minute). Le reste de l’examen clinique se situe dans les limites de la normale.

Examens complémentaires :

L’ingestion par Nestor d’environ 32 mg/kg de théobromine justifie la réalisation d’un électrocardiogramme qui permet de confirmer la bradycardie. Le rythme est sinusal, régulier et aucune anomalie morphologique n’est mise en évidence. Enfin, le ionogramme permet de révéler une kaliémie dans les valeurs usuelles basses à 3,7 mmol/L.

Traitement :

Une injection sous-cutanée d’apomorphine est réalisée dès l’admission de Nestor, permettant le déclenchement de vomissements contenant le chocolat. Nestor est ensuite hospitalisé sous perfusion à 3 mL/kg/h de Ringer Lactate, et traitement médical à base de charbon végétal, métoclopramide, ranitidine et sucralfate.

Suivi :

Le lendemain, Nestor est en très bon état général. La fréquence cardiaque est revenue dans les normes (100 battements/minute) et l’électrocardiogramme de contrôle ne montre pas d’anomalie. Nestor rentre le jour même à domicile avec un traitement médical à base de charbon végétal (2 jours), oméprazole (14 jours) et sucralfate (10 jours). Au vu de la kaliémie de Nestor à l’admission, une supplémentation par voie orale en potassium est mise en place durant 5 jours afin de pallier à une possible hypokaliémie future.

Nestor ne présentera plus, par la suite, de signe clinique lié à l’ingestion de chocolat.

DISCUSSION

La toxicité du chocolat est liée au cacao et ses bases xanthiques, en particulier à la théobromine. Au vu de la très grande variété des chocolats disponibles sur le marché, les doses toxiques sont difficiles à déterminer avec précision mais il semblerait que chez le chien, des signes cliniques peuvent apparaître dès l’ingestion de 20 à 40 mg/kg de théobromine, ce qui correspond en moyenne à l’ingestion de 5 à 10 g/kg de chocolat noir, ou 100 à 250 g/kg de chocolat au lait [3].

Le chien est l’espèce domestique la plus exposée au chocolat, et la plus sensible avec une DL 50 estimée à 100 mg/kg. De plus, l’élimination urinaire de la théobromine après métabolisation hépatique est très longue chez cette espèce de par la présence d’un cycle entéro-hépatique important. La demi-vie de la molécule est de 17,5 à 70 heures selon les études, alors qu’elle n’est que de quelques heures chez les autres mammifères, d’où un risque additionnel de toxicité cumulative.

L’ingestion dans notre cas par Nestor d’environ 32 mg/kg de théobromine le place donc loin de la DL50 mais dans la fourchette des valeurs responsables de signes cliniques.

Le chat présente quant à lui une DL 50 estimée à 200 mg/kg. [1].

Les premiers signes cliniques apparaissent généralement dans les 6 à 12 heures après ingestion chez le chien. Les signes d’appel sont fréquemment de la polydipsie et de l’agitation, qui précèdent des troubles digestifs tels que des vomissements, de la diarrhée et du ptyalisme. S’ensuivent alors des troubles [2] :

  • cardio-vasculaires (bradycardie lors d’ingestion de faibles doses, tachycardie lors d’ingestion de fortes doses, extrasystoles ventriculaires, altération de la barorégulation). Les muqueuses peuvent parfois apparaitre congestionnées, cyanosées, ou rarement présenter des pétéchies.

Extrasystole ventriculaire chez un chien observée à l’ECG.

Tachycardie ventriculaire chez un chien observée à l’ECG.

  • neurologiques (hyperactivité, ataxie, trémulations voire convulsions si les doses ingérées sont très importantes, pouvant mener jusqu’au coma si aucune mesure thérapeutique n’est entreprise)
  • métaboliques (hyperthermie, déshydratation, acidose, hyperglycémie et possiblement hypokaliémie tardivement), qui renforcent le risque de coma. La mort est néanmoins très rare.

Si l’anamnèse ne permet pas d’établir que l’animal présenté a effectivement ingéré du chocolat mais que les signes cliniques et paracliniques sont en faveur de cette hypothèse, un dosage de la théobromine et de la caféine plasmatiques peut permettre de confirmer le diagnostic [1].

La prise en charge thérapeutique est d’abord éliminatoire, avec l’utilisation d’émétisants (tels que l’apomorphine pour le chien, ou des α2-agonistes comme la xylazine ou la médétomidine pour le chat) et d’adsorbants comme le charbon végétal activé. Quatre administrations sur 24 heures sont préconisées compte tenu du cycle entéro-hépatique de la molécule.

Une fluidothérapie doit être mise en place afin d’augmenter l’excrétion urinaire. En cas d’acidose métabolique, le Ringer Lactate sera privilégié de par ses propriétés légèrement alcalinisantes. En cas d’acidose sévère, l’utilisation de bicarbonates pourra être envisagée. Des anti-vomitifs et des antiacides sont administrés en parallèle.

Il faut également monitorer et corriger les éventuelles anomalies cardio-vasculaires (ex : traitement des extrasystoles ventriculaires avec de la lidocaïne, correction des anomalies de fréquence cardiaque ou de pression artérielle), neurologiques (ex : traitement d’éventuelles crises épileptiformes) et métaboliques (ex : correction de l’hypokaliémie, de l’hyperthermie, de l’acidose métabolique) [4].

Le chocolat, qui représente un quart des cas d’intoxication chez le chien, représente donc un véritable danger pour cette espèce, notamment durant les périodes critiques que constituent Noël et Pâques, où les empoisonnements sont respectivement quatre fois et deux fois plus nombreux que pendant le reste de l’année. La meilleure prévention passe donc par la vigilance des propriétaires, qui doivent veiller à ce que tous les chocolats soient placés dans des zones inaccessibles pour le chien, tout particulièrement durant les fêtes [5].

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Berny P, Queffélec S. Guide pratique de toxicologie Clinique vétérinaire. Editions Med’Com ; 2015.
  2. Finlay F, Guiton S. Chocolate poisoning. BMJ: British Medical Journal, 2005, 331 (7517), 633.
  3. Cortinovis C, Caloni F. Household Food Items Toxic to Dogs and Cats. Frontiers in veterinary science, 2016, 3, 26.
  4. Kovalkovičová N, Sutiaková I, Pistl J, & Sutiak V. Some food toxic for pets. Interdisciplinary toxicology, 2009, 2 (3), 169-76.
  5. Noble PM, Newman J, Wyatt AM, Radford AD, Jones PH. Heightened risk of canine chocolate exposure at Christmas and Eastern. Veterinary Record, 2017, 181, 684.