Éviscération atypique chez un chat européen adulte

Dr Julie BROSSARD – Dr Luis MATRES LORENZO – Dr Fabrice BERNARD (CHV Saint-Martin) – Dr Isabelle PHILIPPE (Annecy)

Une chatte européenne de 8 ans est présentée pour un second avis sur une masse ulcérée sur le flanc gauche.

Cas Clinique :

La chatte ne possède pas d’antécédents particuliers. Elle avait disparu pendant une semaine. Une masse ulcérée de 6cm*4cm est présente en portion caudale du flanc gauche. La chatte a bon appétit, elle urine et émet des selles normalement.

Examen clinique :

A son admission, l’animal est peu coopératif et stressé. Elle est maigre et son poil est piqué.
L’examen clinique général révèle une déshydratation à 5% et des muqueuses pâles.
Une masse ulcérée, suintante, pédiculée, non réductible, entourée par un tissu de granulation, et adhérente au plan sous jacent, est effectivement constatée sur le flanc gauche en regard de la cuisse. Son diamètre est d’environ 5 cm.

Masse pédiculée sur le flanc gauche

Hypothèses diagnostiques :

Considérant l’aspect et l’apparition soudaine de la masse, les hypothèses diagnostiques sont un granulome inflammatoire, un abcès, une éventration, un processus tumoral très agressif (fibrosarcome, carcinome…).

Examens complémentaires :

Un bilan biochimique et hématologique révèle une légère hypoalbuminémie (19g/L [22-40g/L]) ainsi qu’une anémie modérée (6g/dL [12-18g/dL]) microcytaire normochrome non régénérative compatible avec un syndrome inflammatoire.
Une échographie de la masse et de l’abdomen révèle une hernie abdominale avec passage d’anses d’intestin grêle et d’omentum par la paroi abdominale caudale gauche en face interne et externe de la cuisse gauche. Des lésions compatibles avec une entérite débutante ou un début d’ischémie des anses herniées ainsi qu’une adénite jéjunale et inguinale gauche sont également constatées.

Traitement :

Du fait de l’état général du patient et de signes d’ischémie de certaines anses intestinales visibles à l’échographie, une fluidothérapie (NaCl 0,9% 5mL/kg/h) a été mise en place pendant une heure suivie d’une laparotomie par la ligne blanche.

La laparotomie a permis de constater une perforation de la paroi abdominale dans l’hémiabdomen caudal gauche avec hernie de deux anses jéjunales. Ces dernières étaient recouvertes d’un tissu de granulation faisant sac herniaire et constituant la paroi suintante et ulcérée visible initialement.

Brèche dans la paroi abdominale, vue par laparotomie.

La première phase de la chirurgie a consisté en une dissection du sac herniaire afin de réintégrer les anses intestinales dans l’abdomen.

Anses éventrées après dissections des adhérences et avant réintroduction dans la cavité abdominale.

Deux portions d’anses présentaient une couleur anormale ainsi que des adhérences trop importantes avec le tissu de granulation ce qui a justifié la réalisation de deux entérectomies jéjunales par abouchement termino-terminal. Les deux sites ont été omentalisés.

Anses jéjunales après la première entérectomie.

La brèche musculaire est fermée par l’intérieur de la cavité abdominale. Le reste du site herniaire a ensuite été fermé plan par plan et un drain aspiratif a été placé en sous-cutané. Un rinçage de la cavité abdominale a été effectué avec un litre de sérum physiologique puis le site de laparotomie a été fermé de manière classique.

Suivi :

Les soins postopératoires immédiats ont consisté en une vidange du drain toutes les 4h, une antibiothérapie à base d’amoxicilline et acide clavulanique (20mg/kg BID) ainsi qu’en une analgésie à base de morphine (0,2mg/kg/4h). Le retrait du drain a été effectué à J+2. L’antibiothérapie a été poursuivie 10 jours.

Le suivi de l’évolution de l’anémie et de l’albumine a également été réalisé 2 jours après l’intervention et a montré une stabilisation des 2 paramètres.

La suite de la prise en charge a été réalisée par le vétérinaire traitant. Les points ont été retirés 15 jours après l’intervention. Un mois et demi après l’intervention la chatte est en bon état général et reprend progressivement une activité normale.

DISCUSSION

L’éviscération se définie par le passage d’une partie du contenu de l’abdomen à travers un orifice non naturel de la paroi abdominale et de la peau.
La plupart des éviscérations rapportées en médecine humaine sont secondaires à des chirurgies de l’abdomen [1]. Quelques cas suite à des traumatismes ont toutefois été rapportés. Peu de cas sont décrits en médecine vétérinaire mais la plupart fait suite à une chirurgie [2]
Lors de traumatismes, il est plus souvent noté la présence de hernies abdominales que de véritables éviscérations, même si les hernies traumatiques ont une incidence qui reste très faible [3]. Dans les 2 cas, les causes traumatiques les plus souvent rapportées sont les traumatismes contondants (chutes et accidents de la voie publique) et les morsures [4]. Dans la plupart des cas, d’autres lésions sont concomitamment observées.

Le diagnostic est normalement très simple à établir car les anses sont clairement visibles à l’extérieur de la cavité abdominale. Dans notre cas un sac herniaire probablement composé de péritoine présentant des remaniements inflammatoires était tout de même présent ce qui prêtait à confusion. Dans ce cas, comme dans le cas d’une hernie abdominale, la radiographie, voire l’échographie, permettent de lever le doute.

Le principe de traitement est le même que celui d’une hernie abdominale mais lors d’éviscération la chirurgie précoce est indispensable dès que le patient est assez stable pour être anesthésié. Dans notre cas les anses n’étaient plus directement exposées mais les signes de souffrances visibles à l’échographie orientaient vers un début de strangulation ce qui justifiait une prise en charge chirurgicale en urgence.
La chirurgie intervient après irrigation des anses herniées et consiste principalement en leur remise en place après évaluation de leur viabilité. Si les anses présentent des signes d’ischémie, de perforation ou d’altération, une entérectomie est nécessaire Cependant, lors d’éviscération l’entérectomie n’est pas la règle. Certains animaux pris en charge très rapidement ne nécessitent pas de résection [2]. De plus, il ne faut pas négliger l’exploration du reste de la cavité abdominale à la recherche de lésions associées pouvant péjorer le pronostic.
Un rinçage de la cavité abdominale est réalisé puis la paroi est fermée par le biais de surjets simples. Il est également possible d’utiliser une prothèse ou de réaliser un lambeau pour fermer les brèches abdominales de grande taille, comme cela est pratiqué en médecine humaine. Cependant ceux-ci ne sont utilisés qu’en dernier recours du fait du risque élevé de contamination bactérienne. Certains auteurs recommandent la réalisation d’une bactériologie et la pose systématique d’un drain lorsque la cause est une morsure. [5] [2]
Une couverture antibiotique, en per et post-opératoire, semble nécessaire puisque dans l’étude de Gower et al. les cultures bactériennes du liquide abdominal se sont révélées positives dans 2/3 des cas. Un antibiotique à spectre large est prescrit en première intention. L’antibiothérapie sera adaptée en fonction du suivi clinique et des résultats de l’antibiogramme.

Lors d’une prise en charge précoce le pronostic lors d’éviscération semble bon. Il doit cependant être adapté en fonction des lésions associées.

Conclusion :

Dans ce cas clinique, l’éviscération avait un aspect proche d’une masse cutanée ou sous-cutanée. L’éviscération chez le chat n’est pas fréquemment rencontrée lors de traumatisme. La complexité de la chirurgie réside surtout dans la dissection d’éventuelles adhérences et dans l’identification des anses non viables. Une entérectomie peut alors être nécessaire. Une antibiothérapie raisonnée est justifiée du fait de la discontinuité de la paroi abdominale. Le pronostic n’est pas nécessairement sombre, même si les lésions observées peuvent parfois être impressionnantes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Menegaux F, Complications des hernies de la paroi de l’abdomen, in Urgences abdominales conduites pratiques, 1999, 89-90.
  2. Gower Sara b. et coll, Major abdominal evisceration injuries in dogs and cats : 12 cases (1998-2008) in J Amer Vet Méd Assoc 2009, vol 234, n°12
  3. Slatter D, Body cavities and hernias in Textbook of animal surgery second edition ,1993, 443-7
  4. Pratschke K.M, Abdominal wall hernias and ruptures, Langley-Hobbs S.J et coll, in Feline Soft Tissue and General Surgery 2014; 274-7.
  5. Mayhew Philipp D. and Culp William Trauma-associated body wall and torso-injury in Manual of Trauma Management in the Dog and Cat, 2009, 214-9
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