Etude d’un cas de transposition de la commissure labiale dans le traitement d’une volumineuse tumeur de la paupière supérieure chez un chat

Dr Thomas DULAURENT, Dr Pierre-François ISARD (CHV Saint-Martin)

Le traitement des tumeurs palpébrales fait nécessairement appel à une exérèse chirurgicale dont l’objectif est de conserver la principale fonction palpébrale, à savoir la protection du globe oculaire. La chirurgie est rendue complexe par la structure anatomique  même de la paupière, formée de versants cutané et muqueux, d’un bord libre et d’un tarse. La procédure chirurgicale choisie doit impérativement conserver certaines caractéristiques anatomiques, sous peine de générer des lésions iatrogènes secondaires.

Une chatte de race européenne de 6 ans a été présentée en consultation suite au développement rapide d’une masse sur la paupière supérieure. Cette masse avait fait l’objet d’une biopsie chez le vétérinaire traitant. Le diagnostic établi après analyse du prélèvement était celui d’un carcinome épidermoïde. Le traitement mis alors en place consistait en l’administration d’une pommade antibiotique, avant une prise en charge plus complète.

Examen clinique

L’examen clinique général et l’examen oculaire droit n’ont pas montré d’anomalie. Une volumineuse lésion était localisée sur les deux tiers latéraux de la paupière supérieure gauche. La taille de la lésion était d’environ 1 cm2. Celle-ci était fortement enflammée, ulcérée, dépilée et présentait un saignement spontané assez abondant. Le développement de la tumeur modifiait la position du bord libre palpébral. Enfin la tumeur semblait impliquer la paupière dans toute son épaisseur.

L’examen oculaire gauche n’a pas révélé d’anomalie. Le test de Schirmer a été mesuré à 15 mm/min.

Hypothèse diagnostique

L’hypothèse principale était liée au résultat récent de l’analyse histopathologique à savoir un carcinome épidermoïde de la paupière.

Examens complémentaires

Un bilan d’extension local a été réalisé par un examen tomodensitométrique de la tête. Ce dernier n’a révélé aucune anomalie, notamment au sein des nœuds lymphatiques.

Pronostic

Le pronostic des carcinomes épidermoïdes de la paupière chez le chat est réservé. La rechute après exérèse chirurgicale est le principal risque encouru. Le caractère délabrant de l’opération interdit souvent des reprises chirurgicales répétées.

Traitement

Un traitement chirurgical a été entrepris. Après induction et maintien de l’anesthésie générale et préparation du site opératoire, la première étape de la chirurgie a consisté en l’exérèse la plus complète possible de la tumeur, depuis le tiers médial de la paupière supérieure jusqu’au cinquième latéral de la paupière inférieure. La paupière a ainsi été retirée dans toute son épaisseur, d’abord à l’aide d’une lame n°15 puis par dissection/découpe aux ciseaux de Stevens.

L’étape suivante a consisté en la préparation du greffon. La longueur de la lèvre supérieure prélevée devait correspondre à la longueur de paupière supérieure retirée, tandis que la longueur de la lèvre inférieure correspondait au déficit palpébral inférieur. La commissure devait faire office de nouveau canthus externe. La mobilité du tissu a été assurée par dissection mousse aux ciseaux de Stevens jusqu’à sa base servant de pivot.

La zone cutanée saine, localisée en région inférotemporale du globe oculaire, a été réséquée afin de permettre le positionnement du lambeau.
Ce dernier a été mis en place dans le lit du déficit palpébral et temporal, puis suturé progressivement par des points sous-cutanés à l’aide de Polyglactine 6-0. La suture a débuté par le tiers médial de la paupière supérieure et s’est poursuivie par le rebord de la paupière inférieure.
La suture cutanée a enfin été réalisée par points simples à l’aide de nylon 5-0. Le déficit jugal provoqué par la transposition du greffon a été suturé bord à bord en deux plans à l’aide du même matériel de suture.

Le traitement post opératoire a consisté en l’administration générale d’antiinflammatoires non stéroidiens et d’antibiotiques. Des soins locaux ont été prescrits, en complément de l’administration locale d’une pommade antibiotique, trois fois par jour. La tumeur a été soumise à analyse.

Diagnostic définitif

L’analyse du prélèvement a confirmé le diagnostic initial de carcinome épidermoïde. Les marges d’exérèse ont été considérées comme saines.

Suivi

La visite de suivi à 5 jours a révélé une inflammation et une dépilation du greffon dans sa portion la plus distale. Les fils de suture cutanée ont été retirés lors de la visite à 12 jours.

La zone distale du greffon était toujours enflammée et la cornée présentait un ulcère superficiel combiné au développement d’une néovascularisation superficielle.

La motricité palpébrale était très réduite et la patiente ne répondait pas à la stimulation tactile douce de la zone. Un traitement local lubrifiant a été prescrit pour limiter l’influence de la lagophtalmie sur la cornée. Les visites de suivi au cours des semaines et mois suivants ont montré une réduction progressive de l’inflammation du greffon et une récupération presque complète de la motricité palpébrale.

La lésion de cornée a diminué progressivement jusqu’à disparaitre complètement après 3 mois. Le test de Schirmer mesuré au cours des différentes visites de suivi a toujours été normal. La capacité du patient à ouvrir la gueule a aussi toujours été considérée comme normale. La pilosité de la portion distale du greffon n’a par contre jamais retrouvé son aspect initial.

La dernière visite de suivi à 10 mois n’a pas montré de rechute.

DISCUSSION

De nombreuses techniques de reconstruction palpébrale ont été décrites dans la littérature. La majorité d’entre elles présente l’inconvénient de ne pas proposer le rétablissement parfait de la jonction cutanéomuqueuse de la nouvelle paupière. S’en suivent souvent des complications liées au frottement des poils du nouveau versant cutané sur la surface oculaire.

La technique de transposition de la commissure labiale présente l’avantage de  remplacer la paupière par une structure anatomiquement comparable avec un versant cutané, un versant muqueux et une jonction cutanéo-muqueuse. La transposition de la lèvre supérieure a déjà été décrite dans la reconstruction de la paupière inférieure. La transposition de la commissure labiale a déjà été décrite dans la reconstruction du canthus externe, notamment dans le cas d’agénésie palpébrale chez des jeunes animaux. A notre connaissance cette technique n’avait jamais été utilisée dans la reconstruction de la paupière supérieure après exérèse d’une tumeur siégeant jusqu’à son tiers médial.

Avant le travail de dissection, il est habituellement recommandé d’identifier  le conduit parotidien afin de l’épargner au cours de la création du greffon. Dans notre cas, la papille n’a pas été retrouvée, de sorte que le conduit parotidien n’a jamais pu être individualisé. Fort heureusement, le suivi n’a pas montré la survenue de complication liée à une éventuelle section de ce conduit.

Une lagophtalmie a été identifiée au cours de la période de suivi, rapidement compliquée d’une kératite ulcéreuse neuroparalytique. La plastie réalisée ici a bouleversé l’innervation responsable du clignement palpébral (afférence sensitive assurée par la branche ophtalmique du nerf crânien V et efférence motrice menant au clignement palpébral, assurée par le nerf crânien VII). Ceci a été rendu d’autant plus net que c’est principalement la paupière supérieure qui est impliquée dans le clignement (la paupière inférieure restant presque complètement fixe à l’état normal, même lors de clignement). La motricité de la nouvelle paupière supérieure a été obtenue au bout d’un mois environ, assurant finalement la fonction de protection cornéenne de la paupière. Un traitement lubrifiant a permis de limiter la souffrance cornéenne le temps de retrouver une motricité satisfaisante.

Le cas clinique présenté ici montre que la technique de transposition de la commissure labiale et de la lèvre supérieure peut être envisagée dans la reconstruction d’une tumeur affectant la paupière supérieure jusqu’à son tiers médial.

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