Cataracte inflammatoire chez une chatte de 11 ans

Dr Thomas DULAURENT, Dr Pierre-François ISARD (CHV Saint-Martin)

CAS CLINIQUE
Anamnèse et commémoratifs

Un chat européen femelle de 11 ans a été présenté en consultation pour l’évaluation d’une cataracte unilatérale survenue brutalement sur l’œil gauche quelques mois auparavant. A cette époque, une consultation avait été réalisée chez le vétérinaire traitant qui avait pratiqué un snap test FIV FELV. Le test était négatif pour les deux agents. L’historique médical rapportait un coryza quelques années plus tôt, avec des manifestations oculaires et respiratoires frustes, rapidement résolues avec un traitement médical symptomatique. Suite au diagnostic de cataracte, la patiente a été référée pour une prise en charge spécifique.

Examen clinique

A l’examen, la patiente répondait à la menace et à l’éblouissement à droite. La réponse à la menace était négative à gauche. Les réflexes photomoteurs étaient présents des deux côtés de façon normale mais la contraction de la pupille était légèrement diminuée du côté gauche. L’examen rapproché de l’œil droit n’a pas révélé d’anomalie. L’examen rapproché de l’œil gauche a confirmé la présence d’une cataracte. Elle présentait un degré de maturité avancé et était intumescente avec début de fragmentation des lignes de suture. L’iris était terne et la capsule antérieure était partiellement saupoudrée de pigments uvéaux, signes d’inflammation uvéale chronique.

Examens complémentaires

La pression intraoculaire a été mesurée par tonométrie à rebonds à 13 mm Hg à droite et 4 mm Hg à gauche. La pupille de chaque œil a été dilatée par administration locale de tropicamide 0.5%. L’examen du cristallin et du fond d’œil droit était normal. L’examen du cristallin gauche a confirmé la nature intumescente de la cataracte et les séquelles inflammatoires. Le diagnostic clinique était donc une cataracte associée à une uvéite subclinique chronique.

L’origine de l’uvéite a fait l’objet d’une investigation spécifique avec la réalisation d’un nouveau snap test FIV FELV et d’un bilan biologique complet. Ces derniers n’ont pas révélé d’anomalie. Aucun agent étiologique n’ayant été mis en évidence, le diagnostic d’uvéite dysimmunitaire a été établi. Afin de poursuivre la prise en charge de la cataracte, une échographie et une électrorétinographie ont été réalisées.

L’échographie a confirmé l’intumescence cristallinienne. Une mesure de l’axe antéropostérieur du globe oculaire a été réalisée des deux côtés afin de dépister une éventuelle hydrophtalmie à gauche. La mesure était comparable des deux côtés (18.78 mm à gauche et 18.70 mm à droite).

L’électrorétinographie n’a pas révélé d’anomalie du fonctionnement rétinien susceptible de contre indiquer une opération de la cataracte.

Traitement médical

Le traitement médical prescrit a consisté en l’administration locale d’un mélange de dexamethasone alcool, de néomycine et de polymyxine B (Maxidrol® collyre, Alcon, Reuil-Malmaison, France) à raison de 3 instillations par jour pendant 15 jours. Un traitement général par administration de prednisolone à la dose de 1 mg/kg/j a été prescrit pendant une semaine.

Chirurgie de la cataracte

L’opération de la cataracte a été réalisée selon un protocole standardisé conventionnel. L’anesthésie générale a été induite par l’administration intramusculaire d’un mélange de médétomidine et de kétamine. Le relais de l’anesthésie a été obtenu par administration d’un mélange d’oxygène et d’isoflurane par voie respiratoire après intubation endo-trachéale.

La surface oculaire gauche a été préparée pour l’opération de la cataracte par 7 nettoyages successifs à l’aide d’une solution de povydone iodée diluée à 1%.

Après mise en place des champs opératoire, les paupières ont été maintenues ouvertes à l’aide d’un blépharostat évasé. Une canthotomie latérale a été réalisée à l’aide de ciseaux de Stevens. L’œil a été fixé à l’aide d’un fil tressé de polyglactine 5/0 (Vicryl 5/0). Après kératotomie calibrée à 3.2 mm au couteau calibré, une injection intracamérale d’adrénaline a été réalisée. Après dilatation complète de la pupille, la chambre antérieure a été comblée par injection d’un gel viscoélastique (Acide hyaluronique 1.6%, Ophteis Bio). Une capsulotomie a été pratiquée à l’aide d’une aiguille de 25G. La capsulotomie a été poursuivie par deux incisions arciformes aux ciseaux de Vanas Gills, complétée à l’aide d’une pince d’Utrata pour obtenir un capsulorhexis de forme arrondie de 6 mm de diamètre. Le cortex antérieur et le noyau cristallinien ont été émulsifiés à l’aide d’une pièce à main de phacoémulsification (Alcon Infinity). Les masses ont été supprimées par irrigation aspiration à l’aide de la pièce à main dédiée. Une fois le sac vidé de son contenu, une lentille artificielle a été mise en place par l’incision étroite à l’aide d’un injecteur spécifique (MC1, An-Vision). Le gel viscoélastique a été supprimé par irrigation aspiration. Après suture du port de kératotomie et de la canthotomie, une injection de 25µg de TPA a été réalisée en chambre antérieure.

Traitement post opératoire

Le traitement post opératoire a consisté en la poursuite de l’administration locale de maxidrol, et en l’administration générale de prednisolone à la dose de 0.5 mg/kg/j une semaine puis à jours alternés une semaine supplémentaire. Enfin une couverture antibiotique a consisté en l’administration générale d’un mélange d’amoxicilline et d’acide clavulanique (10 mg/kg, 2.5 mg/kg, Clavaseptin), deux fois par jour pendant 10 jours.

Suivi

A la visite de contrôle à une semaine, le confort de la patiente a été jugé satisfaisant. L’œil était bien ouvert et aucun blépharospasme n’était présent. Les réponses à la menace et à l’éblouissement étaient présentes de façon normale. L’examen oculaire a révélé la présence d’une uvéite matérialisée par une congestion des vaisseaux iriens. Un effet Tyndall modéré était associé. La forme de la pupille était normale et l’implant correctement positionné dans le sac cristallinien. L’examen du fond d’œil était normal, malgré la turbidité générée par l’effet Tyndall. La pression intraoculaire a été mesurée à 8 mm Hg. Le traitement a été poursuivi tel qu’initialement prescrit avec du maxidrol un mois supplémentaire.

La visite de contrôle à 1 mois a montré un bon contrôle de l’inflammation. Le confort et la vision ont été jugés satisfaisants. La pression intraoculaire a été mesurée à 8 mm Hg à nouveau. Le traitement au maxidrol a été poursuivi à raison d’une instillation quotidienne pour 3 mois supplémentaires.

DISCUSSION

La cataracte se définit comme une opacification de tout ou partie du cristallin. Elle peut être classée selon l’âge d’apparition, la localisation de l’opacité dans le cristallin, l’évolution, l’étiologie et l’aspect. Chez le chat, la littérature rapporte de nombreuses causes de cataracte : cataracte congénitale, cataracte héréditaire, cataracte sénile, cataracte liée à des désordres métaboliques (diabète, hypocalcémie), cataractes secondaires à d’autres anomalies oculaires (uvéite, glaucome, luxation du cristallin), cataracte secondaire à des carences alimentaires, cataracte traumatique, et enfin cataractes toxiques suite à l’effet de médicaments ou de toxines. Une récente étude réalisée par Guyonnet et al. a révélé que les causes de cataracte les plus fréquentes chez le chat en France sont l’uvéite (5.8), les cataractes congénitales (15.7%), l’âge (10.8%), les cataractes génétiques (8.2%), les traumas (7.8%), la luxation du cristallin (3.3%), le glaucome (1.5%) et le diabète (0.4%). Dans cette étude, la cause de la cataracte n’avait pas pu être déterminée dans 16.4% des cas. La cause la plus fréquente de la cataracte est donc l’uvéite, ce qui est concordant avec le résultat d’autres études plus anciennes (Sapienza, Stiles). Dans notre cas, la cataracte était très certainement secondaire à l’uvéite. Ces cataractes sont présumées survenir suite à la libération de médiateurs de l’inflammation dans l’humeur aqueuse, modifiant le métabolisme cristallinien. Les modifications cristalliniennes qui en résultent ne sont pas spécifiques et incluent une métaplasie épithéliale, une liquéfaction, une dégénérescence ou une nécrose des fibres cristalliniennes. Les cataractes post inflammatoires évoluent habituellement lentement, atteignent d’abord le cortex et surviendraient seulement dans les cas d’uvéite chronique d’intensité modérée à sévère (Sapienza, Stiles, Davidson).

Chez le chat, les causes d’uvéite endogènes sont la plupart du temps infectieuses, tumorales ou idiopathiques. Une étude réalisée par Jinks MR et al. réalisée sur des chats présentant une uvéite en Caroline du Nord a montré une séroprévalence élevée pour les agents pathogènes suivants : le FELV (2.7%), le FIV (7.3%), le FECOV (Coronavirus félin responsable de la PIF) (34.7%), la toxoplasmose (23.7%), et les germes du genre Bartonella spp. (43.2%). L’uvéite avait une origine néoplasique dans 5% des cas et l’origine de l’uvéite n’a pas pu être déterminée dans 40.8% des cas. Notons que d’autres causes d’uvéite plus marginales ont été décrites, comme l’encéphalitozoonose (Benz P et al.). Dans notre cas, les investigations n’ont pas permis de mettre en évidence un agent étiologique précis, ni un phénomène tumoral sous-jacent. Cependant, tous les agents n’ont probablement pas été recherchés de façon extrêmement précise, de sorte que l’origine dysimmunitaire à laquelle nous avons conclu n’est pas absolument certaine. En effet, l’uvéite dite dysimmunitaire n’est diagnostiquée que lorsque toutes les autres causes ont été exclues. Pour cela, il aurait probablement fallu analyser l’humeur aqueuse et le produit de la phaco-exérèse, même si l’utilité de l’aqueocentèse reste discutée chez le chat (Wiggans KT et al., Linn-Pearl RN et al.).

Le traitement de la cataracte est chirurgical et fait appel aux techniques de phacoémulsification couramment utilisées chez le chien. Une étude récente réalisée par Fenollosa-Romero E et al., portant sur la chirurgie de la cataracte chez le chat, a montré que la phacoémulsification offre de très bons résultats dans cette espèce. Les résultats sont meilleurs à court comme à moyen terme chez les sujets opérés de cataracte juvénile par rapport aux sujets opérés de cataracte traumatique ou post inflammatoire. Les complications les plus fréquemment rencontrées suite à l’opération de la cataracte, quelle qu’en soit l’origine, sont l’hypertension oculaire post opératoire, l’uvéite, l’ulcère cornéen, le développement de synéchies et l’opacification de la capsule postérieure. Dans cette étude portant sur 71 patients, 4 d’entre eux ont été opérés de cataracte post inflammatoire, pour un total de 6 yeux. Cent pourcents des yeux opérés étaient voyant 90 jours après l’opération. Le suivi à plus long terme a montré une complication glaucomateuse sur un œil, probablement secondaire à une uvéite subclinique chronique et nécessitant une énucléation. Chez notre patient, la cataracte était secondaire à une uvéite chronique. Le suivi après l’intervention a montré une persistance de l’inflammation uvéale. Cette inflammation risque de provoquer à plus long terme une hypertension oculaire par obturation de la fente ciliaire par le produit de l’inflammation (fibrine, cellules inflammatoires…). Même si la période post opératoire n’a pas montré de mauvaise évolution, la courte durée du suivi ne permet pas de conclure à un succès définitif. Le succès de ce type de prise en charge repose sur la gestion médicale optimale de l’inflammation. Pour cette raison, une injection sous conjonctivale ou intravitréenne de triamcinolone aurait probablement permis un meilleur contrôle sur le terme.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  • Sapienza JS. Feline Lens Disorders. Clin Tech Small Anim Pract.2005;20: 102-107.
  • Stiles J. Feline Ophthalmology. In: Gelatt KN, Gilger BC, Kern TJ, eds. Veterinary Ophthalmology, 5th edn. Ames: Wiley-Blackwell; 2013:1477-1559.
  • Davidson MG, Nelms SR. Diseases of the lens and cataract formation. In: Gelatt KN, Gilger BC, Kern TJ, eds. Veterinary Ophthalmology, 5th edn. Ames: Wiley-Blackwell; 2013:1199-1233.
  • Guyonnet A et al. Epidemiology and clinical presentation of feline cataracts in france: A retrospective study of 268 cases. Vet Ophthalmol. 2019 Mar;22(2):116-124.
  • Jinsk MR et al. Causes of endogenous uveitis in cats presented to referral clinics in North Carolina. Vet Ophthalmol. 2016; 19, Supplement 1, 30–37.
  • Benz P et al. Detection of Encephalitozoon cuniculi in the feline cataractous lens. Vet Ophthalmol. 2011; 14: Supplement 1, 37-47.
  • Linn-Pearl RN et al. Validity of aqueocentesis as a component of anterior uveitis investigation in dogs and cats. Vet Ophthalmol. 2015; 18: 326-334.
  • Wiggans KT et al. Diagnostic utility of aqueocentesis and aqueous humor analysis in dogs and cats with anterior uveitis. Vet Ophthalmol. 2014: 17; 212-220.
  • Fenollosa-Romero E et al. Outcome of phacoemulsification in 71 cats: A multicenter retrospective study (2006‐2017). Vet Ophthalmol 2020; 23: 141-147.
Privacy Settings
We use cookies to enhance your experience while using our website. If you are using our Services via a browser you can restrict, block or remove cookies through your web browser settings. We also use content and scripts from third parties that may use tracking technologies. You can selectively provide your consent below to allow such third party embeds. For complete information about the cookies we use, data we collect and how we process them, please check our Privacy Policy
Youtube
Consent to display content from - Youtube
Vimeo
Consent to display content from - Vimeo
Google Maps
Consent to display content from - Google