Aspergillose sinonasale chez une chienne avec destruction de la lame criblée

Dr Alejandro Alvarez Sanchez – Dr Anne-Charlotte Barrot (CHV Saint-Martin) – Dr Antoine Bernardé (CHV Saint-Martin)

Hera, chienne Beauceron, stérilisée, âgée de 3 ans est référée pour investiguer un épistaxis unilatéral à droite arrivé brutalement.

Anamnèse

Plusieurs semaines avant la consultation, des éternuements étaient notés par les propriétaires. Dix jours auparavant, un jetage purulent est apparu, puis, est devenu sanguinolent. La chienne ne recevait aucun traitement pour ce problème.

Examen Clinique

Lors de l’examen clinique, la chienne était alerte et présentait une bonne condition corporelle. La température intra-rectale était à 39,4 °C, légèrement supérieure aux valeurs de référence et il y avait de l’épistaxis au niveau de la narine droite. Le reste de l’examen était dans les limites de la normale.

Examens Complémentaires

Les bilans sanguin et de coagulation n’ont révélés aucune anomalie. L’hémogramme et le bilan de coagulation ont été réalisés pour mettre en évidence une anémie ou des troubles de la coagulation. La biochimie a été réalisée quand à elle pour s’assurer de l’absence notamment d’hyperglobulinémie. En effet, certaines causes infectieuses peuvent entrainer un épistaxis (mais le plus souvent bilatéral).

Pour poursuivre l’investigation, un scanner ainsi qu’une rhinoscopie ont été recommandés. Les résultats du scanner ont mis en évidence des images en faveur d’une rhinite érosive unilatérale à droite, avec une érosion localisée de la lame criblée ainsi qu’une sinusite frontale droite.

La rhinoscopie effectuée sur la narine droite suite au scanner a montré des plages blanches réfringentes dans la narine droite. Compte-tenu des résultats du scanner et de la rhinoscopie, une aspergillose sino-nasale est très fortement suspectée.

Traitement

Etant donné que la lame criblée est érodée, un traitement antifongique, à base d’itraconazole 200mg, BID, par voie orale, est mis en place en accord avec le propriétaire. Des suivis cliniques et des enzymes hépatiques sont réalisés tous les mois. Une nette amélioration est notée pendant les deux premiers mois. Cependant, 3 mois après, et toujours sous le traitement antifongique, la chienne est présentée au service d’urgences car l’épistaxis de la narine droite est revenue. Une ulcération au niveau de l’aile latérale de la narine droite est aussi remarquée.

Un scanner de contrôle est donc fait, révélant une aggravation de la rhinite érosive unilatérale et de la sinusite frontale à droite. Une érosion de la partie rétrobulbaire de l’os frontal et palatin à droite est aussi constatée. L’hémogramme a montré aussi une anémie modérée [Ht 26,7% (37,3-61,7); Hb 9,2 g/dL (13,1-20,5)]. Les enzymes hépatiques étaient dans les valeurs de référence.

L’abord topique consistait en une trépanation, un nettoyage avec du sérum physiologique, et une balnéation avec du clotrimazole pommade dans le sinus frontal droit, ainsi qu’une balnéation des deux cavités nasales. Les balnéations doivent se répéter trois fois, à deux semaines d’intervalle.

Suivi

Hera est encore soumise aux balnéations. Une nette amélioration des signes cliniques ainsi que de son état général est actuellement constatée. Elle n’a pas présenté à ce jour d’effets secondaires aux balnéations.

DISCUSSION
1- Etiologie et signes cliniques:

Ce cas clinique décrit une infection par Aspergillus spp. Ce champignon est un agent opportuniste. L’infection dépend de l’immunocompétence de l’hôte et des facteurs de virulence du champignon. Certaines causes peuvent favoriser le développement de ce champignon, par exemple un corps étranger nasal, un traumatisme facial, … [1,2, 3]

Les aspergilloses sino-nasales touchent, dans la grande majorité des cas, les 2 cavités nasales, ce qui n’est pas le cas pour Hera. Le plus probable serait qu’elle ait eu un corps étranger dans la cavité nasale droite qui a irrité et lésé celle-ci et a permis au champignon de se développer.

Les jeunes chiens et les chiens dolichocéphales et mésocéphales sont les plus souvent affectés.

Les signes cliniques associés sont des éternuements, du jetage, de purulent à hémorragique, de l’anorexie ainsi que de l’abattement. Les croutes, la dépigmentation de la truffe et les ulcères dans les narines sont aussi fréquents et très caractéristiques [1,2, 3]. Dans les cas plus graves avec notamment une destruction complète de la lame criblée, des signes neurologiques peuvent apparaître [1,2].

2- Diagnostic :

Lors atteinte des cavités nasales, les examens complémentaires de choix sont l’association d’un scanner avec une rhinoscopie [2,4].

Lors d’aspergillose, le scanner permettra de mettre en évidence des images en faveur (destruction des cornets nasaux…). Il permettra également de voir l’étendue des lésions (atteinte ou non des sinus) et l’intégrité ou non de la lame criblée. Ces 2 éléments sont très importants pour le choix du traitement.

La rhinoscopie, quand à elle, est considérée comme être l’examen le plus utile pour le diagnostic. En effet, il permet de mettre en évidence les plaques fongiques (figure 4). De plus, il permet de cibler les échantillons au besoin et surtout de débrider les zones atteintes en améliorant ainsi les résultats du traitement.

3- Traitement systémique versus traitement topique :

Le traitement de choix lors d’aspergillose sino-nasale est le traitement topique [2,5]. Cependant, il est contre-indiqué quand la lame criblée est endommagée ce qui était le cas d’Héra [4]. En effet, dans ces cas, le traitement topique peut entrainer des complications. Des signes neurologiques secondaires à une méningoencéphalite induite par l’irritation chimique du produit sont rapportés. En raison de ce risque et après discussion avec les propriétaires, le traitement systémique (bien que moins efficace) a été envisagé. Une amélioration clinique a été notée les premiers mois. Lors de traitement systémique, il est important de faire des suivis réguliers cliniques et des enzymes hépatiques. Les antifongiques sont hépatotoxiques. Le traitement systémique doit être poursuivi plusieurs mois. L’itraconazole est selon les études efficace à 60-70% [4].

Malgré l’amélioration transitoire d’Héra avec le traitement topique, il a été rediscuté avec les propriétaires suite à sa rechute d’essayer le traitement topique malgré le risque potentiel de complication.

Le clotrimazole et l’enilconazole en pommade et solution sont les antifongiques employés [2].

Les meilleurs résultats de balnéations sont obtenus quand une trépanation est réalisée en même temps. Cela assure une meilleure distribution de l’antifongique (traitement des cavités nasales et des sinus). Les balnéations au clotrimazole ont une efficacité de 87% après 2 ou plus balnéation [4].

CONCLUSION

L’aspergillose nasale canine est une maladie assez rare dont le pronostic varie en fonction de la gravité des lésions et du plan thérapeutique choisi. Les meilleurs résultats sont assurés avec un traitement topique. Cependant, des complications, notamment des méningoencéphalites, peuvent être observés avec ce type de traitement si la lame criblée est abimée.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. A.P. Davidson. Aspergillosis. In: Ettinger SJ, Textbook of Veterinary Internal Medicine. 7th Ed. St Louis, Missouri: Saunders Co ; 2010: 996-1002.
  2. M.J. Sharman and C.S. Mansfield. Sinonasal aspergillosis in dogs: a review. J Small Animal Practice. 2012; 53: 434-444.
  3. R. Rodrigues Ferreira et coll. Canine Sinonasal Aspergillosis. Acta scientiae Veterinariae. 2011; 39(4): 1009.
  4. Day MJ Canine Sinonasal Aspergillosis-Peniciliosis in: Greene CE Infectious diseases of the dog and cat, 4th Edition, Philadelphia : Saunders Co ; 2012 : 651-9.
  5. S. Claeys et coll. Surgical treatment of canine nasal aspergillosis by rhinotomy combined with enilconazole infusion and oral itraconazole. J Small Animal Practice. 2006; 47: 320-324.