Vieillissement cutané : que surveiller, quelle attitude adopter ?

Dr Émilie VIDÉMONT-DREVON (CHV Saint-Martin)

Comme tous les organes, la peau vieillit… Les données chez l’homme sont légion : l’importance de l’aspect cutané est en effet majeur dans notre société, à l’origine d’un engouement sans pareil pour toutes les techniques permettant de paraître plus jeune et « belle/beau » (industrie cosmétique, chirurgie esthétique, protections solaires, alimentation spécifique sont autant d’exemples de la recherche de la source de jouvence) [7]. Chez les carnivores domestiques peu d’études se sont réellement intéressées aux effets de l’âge sur la peau. Il paraît pourtant évident que le vieillissement cutané existe chez le chien et le chat: chutes de poils, pigmentations en tâches de la peau, blanchiment des poils, peau plus fine et plus sensible, mauvaises odeurs (…) sont couramment constatés en pratique [5,8]. Il s’agit rarement d’un motif de consultation, mais certains de ces « petits soucis » liés à l’âge peuvent être gênants pour l’animal ou son propriétaire ou être potentiellement un signe avant-coureur d’une réelle pathologie. Il est donc important de ne pas les négliger, d’autant plus que la dermatologie est une constante chez l’animal âgé [6]. 

LE VIEILLISSEMENT CUTANÉ

Il est bien documenté chez l’homme (cf encadré) et est essentiellement caractérisé par un amincissement et un dessèchement associé à une perte de l’élasticité responsables de l’apparition de rides, de taches achromiques, de lentigos et d’une peau rugueuse et finement squameuse [7]. Les deux principaux facteurs responsables du vieillissement cutané sont l’hérédité et l’exposition au soleil. La diminution de la kératogénèse, de la mélanogénèse et les remaniements épidermiques et dermiques sont à l’origine d’une perturbation des fonctions de barrière et de protection de la peau.  La peau âgée est donc plus exposée aux traumatismes et cicatrise plus lentement et moins efficacement. Le système immunitaire cutané inné et acquis est également moins performant, ce qui favorise les infections cutanées [5].

Les mécanismes du vieillissement cutané

 

AU NIVEAU DE LÉPIDERME
  • diminution de la prolifération kératinocytaire et réduction des couches vivantes de l’épiderme
  • altération du processus de desquamation suite à un dysfonctionnement des protéases
  • diminution du nombre de mélanocytes et regroupements anormaux de ceux-ci
  • diminution du nombre de cellules de Langerhans
AU NIVEAU DU DERME
  • aplatissement de la jonction dermo-épidermique
  • diminution de la taille et du nombre de fibroblastes
  • diminution de la substance fondamentale avec perte d’acide hyaluronique, raréfaction des fibres d’élastine, réticulation des fibres de collagène.
AU NIVEAU DES ANNEXES PILO-SÉBACÉES
  • diminution de la sécrétion sébacée alors que paradoxalement le nombre de glandes augmente
  • plus grande fragilité des poils et renouvellement moindre

L’existence de maladies systémiques chez l’animal âgé pouvant modifier le métabolisme protéique (insuffisance rénale, hépatopathie…) accentue très probablement ces mécanismes. La modification liée à l’âge de l’absorption des nutriments, minéraux et vitamines affecte également le fonctionnement cutané [2].

Manifestations cliniques associées au vieillissement cutané

Chez l’homme les principales dermatoses associées au vieillissement cutané sont les angiomes, les verrues séborrhéiques, les taches pigmentées ou achromiques [7]. Chez le chien on rencontre des néoformations, une tendance à la séborrhée (grasse le plus souvent mais pas toujours) et des altérations des phanères (poils, griffes, coussinets, truffe, points de pression).

Néoformations

De nombreuses tumeurs cutanées peuvent être rencontrées chez le chien. Les plus communes sont les papillomes ou « verrues », les kystes folliculaires et les adénomes sébacés.

Les papillomes du vieux chien sont le plus souvent dus à des virus appartenant à la famille des papillomavirus [9].  Cliniquement leur aspect est typique avec apparition d’une lésion en relief dont l’aspect est papillomateux et verruqueux, « en chou-fleur », assez friable.

adénome sébacé chez un chien âgé

La taille des lésions est très variable, de quelques millimètres à plusieurs centimètres. En règle générale les lésions sont asymptomatiques mais dans certains cas un prurit peut être noté. Le diagnostic est essentiellement clinique ; en cas de doute un examen histopathologique peut être réalisé. Le traitement, lorsqu’il est nécessaire, fait appel à la cryothérapie, à l’application locale d’imiquimod (un immunomodulateur à propriétés antivirales) ou à la phytothérapie [8]. Pour les lésions très étendues et/ou volumineuses l’exérèse chirurgicale peut être indiquée.

Sous le terme « kyste folliculaire » sont regroupés plusieurs types de néoformations bénignes correspondant à l’accumulation de substance caséeuse dans le follicule pileux secondairement à une sécrétion anormale de sébum ou de kératine par l’épithélium [8]. Cliniquement ils apparaissent sous la forme de nodules, parfois de grande taille, peu symptomatiques en début d’évolution mais qui peuvent à la suite d’un traumatisme se rompre et laisser sourdre un exsudat pâteux blanchâtre « en pâte dentifrice ». Une infection bactérienne secondaire peut être notée. Les lésions sont en général multiples. Le traitement est essentiellement chirurgical. Certains auteurs ont proposé l’utilisation de la vitamine A ou des rétinoïdes de synthèse [8].

Les adénomes sébacés sont des tumeurs bénignes des glandes sébacées. Très fréquents chez le chien âgé, ils se traduisent cliniquement sous la forme de petites néoformations polylobées, séborrhéiques, avec un aspect « en peau d’orange » très caractéristique.

Ils peuvent être nombreux dans certaines races. Leur prise en charge est similaire à celle des kystes folliculaires.

Séborrhée

Avec l’âge, la modification de la sécrétion sébacée associée à l’augmentation de la taille des glandes sébacées est à l’origine d’une séborrhée. Elle est aggravée chez le chat par un défaut de toilettage lié à l’âge. D’un point de vue clinique, on distingue la séborrhée sèche ou seborrhea sica (la peau et le poil sont secs et ont un aspect cireux-au toucher, après s’être lavé les mains, on a la sensation de recueillir de la « cire de bougie » sur la pulpe des doigts) et la séborrhée grasse ou seborrhea oleosa (la peau et le poil ont un aspect gras, parfois même très gras (huileux) ; les poils peuvent être collés en mèches graisseuses) [10].

Même si une séborrhée grasse est couramment observée chez les animaux âgés, il est important d’adopter une démarche diagnostique rigoureuse pour exclure une cause primaire (parasitaire, hormonale, auto-immune notamment) et ne pas l’imputer d’emblée uniquement au vieillissement cutané [5].

Lorsqu’aucune cause sous-jacente ne peut être spécifiquement corrigée, un traitement topique antiséborrhéique est recommandé. De très nombreux principes actifs sont disponibles pour la gestion des états kératoséborrhéiques [10]. Soufre, acide salicylique, lactate d’ammonium, phytosphingosine, gluconate de zinc en sont des exemples. Les deux premiers peuvent, parfois, présenter un caractère irritant, qui peut être plus marqué chez l’animal âgé et sont donc à éviter en première intention. Une large offre est disponible en terme de galénique. Chez l’animal âgé, la séborrhée est le plus souvent généralisée et le shampoing reste donc la forme la plus adaptée. Son action peut être complétée par l’utilisation de spray, mousse ou spot-on. L’utilisation de traitements systémiques, tels que les rétinoïdes, est déconseillée chez l’animal âgé en raison de leur effet secondaire. Il est toutefois possible et intéressant d’avoir recours à des suppléments minéraux ou vitaminiques ou acides gras essentiels.

Altérations des phanères

Pelage

Deux phénomènes différents sont fréquents chez l’animal âgé au niveau pilaire : une diminution globale de la densité du pelage (qui peut ou non être associé à un trouble hormonal) et une diminution de la pigmentation (poliose ou leucotrichie) [2,5]. L’alopécie est plus ou moins prononcée. Elle est parfois plus marquée sur les zones de frottement. La présence d’une alopécie bilatérale et symétrique peut constituer un signe d’appel d’une dysendocrinie. Une supplémentation en acides gras essentiels, en vitamines et/ou en acides aminés par voie systémique est intéressante pour améliorer ou diminuer la progression de ces anomalies. Par voie locale, il peut être intéressant de favoriser la réhydratation par application de sprays et/ou de spot-on spécialement formulés.

Griffes

Avec l’âge il n’est pas rare que les griffes se fragilisent voire se fissurent. Il s’agit d’une observation assez fréquente chez le chat âgé. Une supplémentation en acides gras essentiels et/ou en kératines est intéressante pour diminuer le risque et favoriser la pousse d’un étui corné de qualité.

Truffe et coussinets

L’ « hyperkératose » des coussinets et de la truffe est fréquemment observée chez le chien âgé, moins souvent chez le chat. Il s’agit d’un épaississement avec lichénification et parfois fissurations à l’origine, dans les cas les plus sévères, de saignements.

kératodermie de la truffe

L’origine de cette condition est inconnue. Il est utile d’utiliser larga manu les hydratants locaux pour stopper l’évolution. Un baume cicatrisant (Biobalm®, laboratoire LDCA) a démontré son efficacité dans cette indication [1], notamment dans une étude contrôlée contre vaseline (3).

Points de pression

Aussi appelés « cals de pression », ces lésions correspondent à un épaississement sur les zones de frottements en regard des protubérances osseuses : les coudes, les jarrets, les pointes des hanches peuvent être atteints. On note des lésions en relief, hyperpigmentées, volontiers lichénifiées et squameuses, associées parfois à des comédons.

callosité de points de pression

Une infection bactérienne secondaire est fréquente avec furonculose voire cellulite pour les cas chroniques. Le traitement passe par l’application régulière de réhydratants (le baume Biobalm® cité ci-dessus a montré son efficacité dans une étude contrôlée [4]) et la prévention passe par une adaptation des mesures de couchage (préférer les matelas épais) et par diminuer l’obésité qui est un facteur prédisposant.

Peau « sensible »

Avec l’âge, la barrière cutanée et le système immunitaire cutané (et général) sont moins performants. Les bactéries et levures de surface ont ainsi tendance à proliférer. Une prolifération bactérienne et/ou fongique de surface se traduisant par un érythème associé à une lichénification, une hyperpigmentation, des dépilations, une séborrhée, une mauvaise odeur et un prurit peut être rencontrée.

syndrome de prolifération bactérienne chez un chien âgé

Bactéries et levures doivent donc être systématiquement recherchées par des examens cytologiques appropriés lors de la consultation dermatologique de l’animal âgé [5].

L’affaiblissement du système immunitaire peut également conduire à l’expression clinique d’ectoparasitoses telles qu’une démodécie. En présence d’une atteinte folliculaire (papules, comédons, dépilations nummulaires), des raclages cutanés doivent donc être systématiquement réalisés. Rappelons que l’identification d’une démodécie chez un animal âgé doit, par ailleurs, conduire à rechercher une atteinte systémique sous-jacente.

Prendre soin de la peau chez l’animal âgé.

D’une façon générale, un shampoing régulier avec un produit doux est recommandé. Un produit antiséborrhéique peut être privilégié en cas de  séborrhée. Lors de proliférations bactérienne ou fongique de surface, l’utilisation de produits limitant leur développement, tels que ceux contenant ou stimulant les peptides antimicrobiens, les produits à base d’huiles essentielles à propriétés antimicrobiennes ou encore ceux contenant de l’argent micronisé, est intéressante.

La peau âgée est plus sèche, l’utilisation régulière d’hydratant cutané peut limiter cette tendance. Ils contribuent également à améliorer l’aspect du pelage en le rendant plus doux et plus brillant. Ils sont appliqués en massage doux pour les produits disponibles sous forme de mousse, en pulvérisations pour les produits disponibles sous forme de spray ou localement pour les produits disponibles en spot-on.

Un brossage régulier permet d’éliminer les poils morts et les squames. Cela accroit probablement la circulation sanguine à la base des follicules pileux, à l’origine d’une stimulation de la pousse.

La peau étant plus fragile, une hygiène quotidienne des zones à risque, comme la zone périorale, les plis, les espaces interdigités, est recommandée. L’utilisation de lingettes ou de pads est intéressante pour ces localisations.

En complément l’utilisation de suppléments oraux (acides gras essentiels, kératines, minéraux ou vitamines, cf ci-dessus) est importante à envisager systématiquement.

CONCLUSION

La peau est du chien et du chat âgé subit les conséquences du vieillissement. Il est important de ne pas négliger ces symptômes qui sont souvent gênants pour le propriétaire, même s’il ne consulte pas directement pour ce motif.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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  • Bensignor E, Vidémont E. Guide pratique de dermo-cosmétique vétérinaire. Med Com ed, 2016, Paris.
  • Catarino M, Combarros-Garcia D, Mimouni O, et coll. Control of canine idiopathic nasal hyperkeratosis with a natural skin restorative balm: a randomized double-blind placebo controlled study. Vet Dermatol 2018 ; 29 : 134-e53.
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  • Miller WH, Griffin CE, Campbell K. Small Animal Dermatology, 7th Ed, WB Saunders, Philadelphia, 2012, 948p.
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