Luxation atlanto-axiale d’apparition aigue chez un chien de grande race
Dr Eliot GOUGEON, Dr Fabrice BERNARD (CHV Saint-Martin)
Anamnèse
Un chien de croisé Rottweiler-Bouvier Bernois de 44 kg mâle castré de 4 ans est présenté pour une douleur très intense apparue soudainement après un épisode de toux 72 heures auparavant. Les propriétaires n’ont pas constaté de traumatisme particulier. Ils rapportent que le chien n’arrive pas à se reposer car il ne trouve pas de position confortable. La douleur persiste en dépit du traitement à base de méloxicam et de gabapentine mis en place le jour de l’apparition des symptômes.
Examen clinique
Le chien est polypnéique et réticent à se déplacer. Aucun déficit neurologique n’est observé mais la mobilisation du cou est associée à une douleur intense.
Hypothèses diagnostiques
Les hypothèses diagnostiques principales sont une hernie discale, une instabilité atlanto-axiale ou de type Wobbler, une fracture/luxation, une tumeur spinale, une méningite ou une discospondylite.
Examens complémentaires
Unmyéloscanner confirme une luxation C1-C2 avec un déplacement dorsal de C2 entraînant une réduction de la hauteur du canal vertébral et un aplatissement de la moelle épinière. L’examen tomodensitométrique est compatible avec un défaut de fusion du processus odontoïde associé à une compression médullaire dynamique ou moins probablement une fracture/luxation de nature traumatique.
Photo 1A. Examen tomodensitométrique spinal préopératoire après myélographie – coupe sagittale. Fragmentation du processus odontoïde (flèche). Des amincissements du marquage sous arachnoïdien (têtes de flèches) sont observés dorsalement et ventralement en regard de la dent de l’axis (étoile). Oc : os occipital ; C1 : atlas ; C2 : axis ; C3 : 3e vertèbre cervicale. NB : Le rapport AVDV/ADDD (cf. photo 5) est ici de 0,88.
Photo 1B. Examen tomodensitométrique spinal préopératoire après myélographie – coupe transversale.
La bascule dorsale de la dent de l’axis (flèche) provoque une compression médullaire importante (tête de flèche).
Une voie d’abord ventrale de C1 et C2 dans le plan médian est réalisée. Les cartilages articulaires C1-C2 sont fraisés.Trois vis de 3,5mmde diamètres sont insérées dans l’arc ventral de l’atlas et le corps vertébral de l’axis. La réduction est réalisée par traction ventrale à l’aide de fils de cerclage disposés temporairement sur les têtesdes vis insérées dans l’axis. Deux vis transfacettaires C1-C2 de 3,5 mm sont insérées caudo-cranialement et médio-latéralement. Les cerclages sont retirés et les implants sont inclus dans du ciment de polyméthylméthacrylate (PMMA) renforcé par deux broches disposées en croix au sein de celui-ci.
Photo 2. Vue peropératoire du vissage transfacettaire (flèche) et de l’implantation de 3 vis dans C1 et 3 vis dans C2 (têtes de flèche) avant la mise en place du ciment.
Des radiographies et un scanner postopératoires confirment la décompression médullaire, la réduction de la luxation et un positionnement adéquat des implants.
Photo 3. Radiographie latérale de l’articulation C1-C2 postopératoire. La réduction de la luxation est observable par la restauration de l’alignement du canal vertébral. Les vis transfacettaires (flèche) et les vis dans les corps vertébraux (têtes de flèche) sont correctement implantées. Oc : os occipital ; C1 : atlas ; C2 : axis.
Photo 4A. Examen tomodensitométrique du montage postopératoire – vue para-axiale. Une vis transarticulaire est insérée entre les facettes articulaires de C1 et C2 (tête de flèche). Des vis insérées dans l’atlas et l’axis (flèches jaunes) sont incluses dans le ciment PMMA. Oc : os occipitale. C1 : lame ventrale de l’atlas. C2 : partie ventrale de l’axis.
Photo 4B. Examen tomodensitométrique du montage postopératoire – vue transversale de l’axis. Des vis (têtes de flèches jaunes) insérées dans le corps de l’axis (flèches jaunes) sont incluses dans le ciment PMMA.
Photo 5A. Reconstruction tomodensitométrique 3D préopératoire des vertèbres cervicales. La luxation atlantoaxiale est observable par le déplacement dorsal de l’axis (flèche double jaune) et l’absence d’alignement des facettes articulaires (têtes de flèches bleues). Oc : os occipital. C1 : atlas. C2 : axis.
Photo 5B. Reconstruction tomodensitométrique 3D du montage postopératoire. L’alignement des facettes articulaires entre C1 et C2 (tête de flèche) confirme la réduction adéquate de la luxation. Le ciment PMMA est disposé ventralement à C1 et C2. Oc : os occipital.
La prise en charge postopératoire est réalisée à l’aide d’une CRI de morphine (0,1 mg/kg/h) pendant 24 heures suivie d’injections sous cutanées de morphine à effet (0,1 à 0,3 mg/kg SC) et de méloxicam (Meloxidyl® ; 0,1 mg/kg per os(PO)) pendant 5 jours. L’antibioprophylaxie à base d’amoxicilline est débutée au cours de l’intervention et poursuivie pendant une dizaine de jours afin de prévenir une infection pouvant être favorisée par la présence d’un corps étranger (ciment chirurgical). Dès le lendemain, une reprise de l’appétit et une baisse significative de la douleur sont constatées. Aucun signe d’inconfort n’est constaté à partir du 3e jour postopératoire.
Le chien sort de l’hôpital 6 jours après l’intervention avec un traitement à base d’antibiotiques (Clavaseptin® 15 mg/kg 2 fois par jour PO ; 5 jours), de gabapentine (Neurontin®[H] ; 10mg/kg 3 fois par jour PO ; 7 jours) et de tramadol (Tralieve® 2mg/kg 3 fois par jour PO ; 7 jours). Une restriction d’activité de 8 semaines est préconisée avec les sorties limitées uniquement en laisse avec un harnais.
Suivi
Lors du contrôle à 21 jours postopératoires, les propriétaires confirment l’absence de signe de douleur.
Lors du contrôle à 8 semaines postopératoires, l’état général est excellent et aucun signe de douleur n’est rapporté ni mis en évidence. Des examens radiographique et tomodensitométrique de contrôle sont réalisés et montrent l’absence de déplacement des vertèbres et des implants.
L’instabilité/luxation C1-C2 est rare chez les chiens de grande race
L’instabilité C1-C2 touche préférentiellement les chiens de petite race souffrant d’une anomalie congénitale de la dent de l’axis [1-3]. Les signes cliniques sont fréquemment observés avant l’âge de un an [1,4] avec une apparition progressive ouaigue suite à un traumatisme mineur [5]. Les symptômes les plus fréquents sont une cervicalgie, une ataxie ou une tétraparésie, et plus rarement une tétraplégie [1,3,4]. Une cervicalgie intense sans autre déficit est souvent rapportée lors d’origine traumatique [1,5].
Chez les chiens de grand format, les luxations C1-C2 strictement traumatiques sont les plus fréquentes mais des instabilités congénitales ont également été décrites notamment chez 2 chiens Rottweiler [6,7]. L’âge d’apparition varie de 6 mois [6] à 8 ans [5].
L’examen tomodensitométrique est l’examen de choix
Sur une incidence radiographique latérale, le déplacement dorsal de l’axis par rapport à l’atlas est plus ou moins marqué [4]. Des critères ont été établis pour diagnostiquer radiographiquement une instabilité C1-C2 [2]. Le recouvrement C1-C2 est le critère le plus intéressant mais a été établi en valeur absolue pour des chiens de petit format et ne peut donc être appliqué sur un chien de grand gabarit. Un ratio radiographique ne dépendant pas de la taille du chien peut être utilisé chez les individus de grande taille.
Photo 6. Radiographie d’une articulation C1-C2 d’un chien sain illustrant le critère radiographique de l’instabilité atlantoaxiale utilisable chez des chiens de grands gabarits.
La dent de l’axis est représentée par la forme contenant un astérisque. La première mesure correspond à la distance entre la partie dorsale de l’arc ventral de l’atlas (C1V) et la partie ventrale de la dent de l’axis (IDAV). La deuxième mesure correspond à l’intervalle entre la partie ventrale de l’arc dorsal de l’atlas (C1D) et la dent de l’axis (IDAD). Ici, IDAV = 2,4 mm et IDAD = 15,2 mm soit un rapport de 0,16. Un rapport supérieur à 0,34 est très en faveur d’une instabilité C1-C2 [2].
La position en ventro-flexion autrefois décrite peut provoquer des lésions importantes de la moelle épinière et n’est plus préconisée [2]. Une aplasie, une hypoplasie, ou une fracture de la dent de l’axis ou une anomalie d’ossification de l’atlas doivent être recherchées [2,4].
L’examen tomodensitométrique est l’examen de choix car il est plus sensible pour la détection des subluxations, permet d’objectiver une fracture de la dent de l’axis et de planifier le calcul des angles d’implantation [8].
Le traitement est chirurgical
Le traitement conservateur reposant sur la restriction d’activité et la mise en place d’une minerve est associé à un taux d’échec important. Il doit être limité aux animaux en début de croissance et manifestant des formes légères [4,9].
Le but du traitement chirurgical est la réduction de la luxation suivie de l’arthrodèse atlanto-axiale [3,8]. Les facteurs statistiquement associés à une réussite de la chirurgie sont une chirurgie précoce, l’absence de parésie non ambulatoire et une réduction complète de la luxation [1].
L’abord ventral est préféré car il permet des techniques associées à une stabilisation vertébrale plus efficace [1,4,10]. Les montages combinant des vis [3] ou des broches [8] dans C1 et C2, un brochage transarticulaire et du ciment ont nettement augmentés les chances de récupération postopératoires par rapport au traitement conservateur et aux techniques utilisées dans le passé. Les cartilages des plateaux vertébraux de C1 et C2 sont fréquemment scarifiés et greffés d’os spongieux pour accélérer l’arthrodèse [1,3-5,8].
Des troubles respiratoires souvent fatals ou une dégradation neurologique iatrogénique peuvent être observés dans les 24 heures postopératoires.
Une restriction d’activité de 8 semaines et une gestion de la douleur sont préconisées après l’intervention. La mise en place d’une minerve n’est pas nécessaire [8]. Un suivi radiographique autour de 2 mois postopératoires permet de confirmer l’absence de migration des implants.Le ciment empêche d’apprécier la qualité de l’arthrodèse [5]. Un suivi tomodensitométrique est préférable en cas de dégradation ou de persistance de la douleur [3]. Le pronostic est bon sous réserve d’absence de migration des broches ou de persistance des signes neurologiques [1,3,4].
Memo
La luxation atlanto-axiale fait partie du diagnostic différentiel de la cervicalgie aiguë.
Cette pathologie est peu fréquente chez les grands chiens. L’étiologie est alors le plus fréquemment traumatique.
L’examen tomodensitométrique permet le diagnostic et la planification de la chirurgie.
Le traitement chirurgical chez les chiens de grand gabarit est l’arthrodèse C1-C2 par implantation de broches et/ou de vis par voie ventrale.
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