Pharmacocinétique de la buprénorphine après administration intraveineuse et transmucosale chez le cobaye.
Sadar M.J., Heather K.K., Drazenovich T.L., Paul-Murphy J.R. Pharmacokinetics of buprenorphine after intraveinous and oral transmucosal administration in guinea pig (Cavia porcellus). AJVR ; 2018 (79)3: 260-266.
Les opioïdes sont souvent utilisés en médecine vétérinaire et sont d’ailleurs considérés comme les analgésiques les plus efficaces dans la gestion de la douleur per-opératoire. Parmi eux, la buprénorphine, agoniste partiel des récepteurs µ, est fréquemment utilisée. Son action a été étudiée chez l’homme, le chien, le chat et le rat. Un seuil de concentration plasmatique pour lequel l’effet analgésique de la buprénorphine est satisfaisant a été défini (1ng/mL).
L’administration de la buprénorphine par voie trans-mucosale a notamment été étudiée chez le chien et le chat. Il est décrit que le pH salivaire peut altérer la résorption mucosale. Un pH basique, comme celui du chat, permettrait d’augmenter la durée d’action de la buprénorphine du fait d’une meilleure absorption.
L’étude pharmacocinétique conduite par Sadar a pour objectif de déterminer, chez le cobaye, la dose de buprénorphine engendrant une concentration plasmatique au moins supérieure au seuil précédemment décrit, par administration intraveineuse et transmucosale. Aucun test de tolérance contre la douleur n’est effectué.
Quatorze cobayes mâles entiers, de race Hartley et âgés de 8 à 11 semaines sont utilisés lors de cette étude. Six animaux ont servi à l’étude préliminaire, les 8 autres à l’étude en elle-même.
L’étude préliminaire a permis de déterminer la dose de buprénorphine ayant la plus grande probabilité d’engendrer une concentration plasmatique au moins égale à 1ng/mL. Cette dose est de 200µg/kg pour les deux voies d’administration utilisée (intraveineuse et transmucosale).
Les huit autres cobayes ont alors reçu, de manière randomisée, une dose de 200µg/kg de buprénorphine par voie intra-veineuse via un cathéter dans l’artère carotide droite ou par voie transmucosale. Une semaine plus tard, chaque cobaye s’est vu administrer la même dose par l’autre voie d’administration. La concentration plasmatique de buprénorphine a été dosée en récoltant le sang via le même cathéter ayant servi à l’injection intraveineuse. Le pH salivaire de chaque cobaye a également été mesuré après un lavage buccal et avant l’administration de buprénorphine. Afin de déterminer le niveau de sédation obtenu, chaque cobaye a été noté selon une échelle couramment utilisée chez le rat et le lapin (Fig.1).
Concernant l’administration de buprénorphine par voie intraveineuse, le pic de concentration, d’une valeur de 46,7 ng/mL, était obtenu en 90 secondes. Le temps de demi-vie de la buprénorphine était alors d’environ 3 heures, ce qui permet d’estimer une durée d’action de 7 heures.
Concernant l’administration par voie transmucosale, le pic de concentration, d’une valeur de 2,4 ng/mL, était atteint en approximativement 1h12min. Le temps de demi-vie de la buprénorphine était également proche de 3 heures, ce qui permet d’estimer une durée d’action de quatre heures.
Le pH salivaire est estimé à 8-9 et le score de sédation à 1 chez tous les cobayes testés, hormis deux qui ont un score de 0. En revanche, au bout de six heures, tous les cobayes tombent à un score de douleur de 0.
Cette étude permet de déterminer que la buprénorphine administrée à la dose de 200µg/kg chez le cobaye, par voie intraveineuse ou par voie transmucosale, permet d’atteindre une concentration plasmatique considérée comme efficace d’un point de vue analgésique. Or, cette notion a été étudiée chez l’homme, le chien, le chat et le rat mais pas chez le cobaye. Le cobaye est un rongeur caviomorphe, herbivore strict, dont le métabolisme diffère considérablement des espèces citées. Nous ne savons donc pas si la valeur seuil de 1ng/mL est une concentration effectivement efficace chez le cobaye pour prodiguer une analgésie. Il est intéressant de souligner que les cobayes de cette étude ont un score de sédation estimé à 1, ce qui ne correspond qu’à une légère tranquillisation d’après l’échelle utilisée (Fig. 1). Aucun test de douleur n’est utilisé pour évaluer le pouvoir analgésique réel de la buprénorphine, il est donc indispensable que des études complémentaires soient menées.
La possibilité d’obtenir une analgésie par la voie transmucosale offre une perspective intéressante, notamment pour un animal chez qui l’administration par voie intraveineuse est difficile. Rappelons néanmoins que la législation française n’autorise pas cette pratique en dehors de la structure vétérinaire. La résorption transmucosale est dépendante du pH salivaire, celui-ci est affecté par de nombreux facteurs et de nombreuses variabilités individuelles, difficiles à anticiper, peuvent être attendues. Soulignons également qu’un rinçage de la bouche a été effectué avant l’administration de la buprénorphine par voie transmucosale pour chaque cobaye. L’utilisation de cette voie en pratique vétérinaire, sans rinçage préalable, pourrait alors altérer le résultat attendu.
Nous disposons actuellement de peu de données concernant l’analgésie des NACs, ce qui nous oblige à extrapoler depuis nos connaissances chez les autres espèces alors que les métabolismes peuvent être différents. La buprénorphine semble avoir l’avantage, par rapport à la morphine, d’avoir une durée d’action plus longue, ce qui permettrait une administration toutes les 4 à 7 heures, chez le cobaye, plutôt que toutes les 4 heures dans le cas de la morphine. Son pouvoir analgésique reste cependant insuffisamment étudié dans cette espèce.
Lors de la mise en place d’un protocole analgésique, l’évaluation régulière de la douleur constitue un élément essentiel du suivi du patient. Si l’utilisation de la buprénorphine peut être envisagée en cas de douleur modérée en présence d’une surveillance vétérinaire, il ne faut pas hésiter à recourir à la morphine, qui, si elle est un agoniste µ moins puissant que la buprénorphine, possède toutefois un pouvoir analgésique supérieur et bien mieux étudié chez les petits mammifères de compagnie.