Masse buccale chez un Rottweiler
Dr Anaïs JOUËT (CHV Saint-Martin) – Dr Anne-Charlotte BARROT (CHV Saint-Martin) – Dr Gabriel CHAMEL
Anamnese
Un chien croisé Rottweiler mâle castré de 9 ans est référé au CHV pour exploration d’une masse buccale. Depuis environ un mois, il refuse les aliments durs qu’il aimait avant (os, pain dur). Il est par ailleurs en bon état général et son poids est stable. Il ne reçoit pas de traitement. Il est régulièrement vacciné et vermifugé.
Examen clinique
L’examen clinique du chien révèle la présence d’une masse buccale. Cette masse est localisée au niveau du voile du palais. Elle est ulcérée, de consistance tissulaire, non pédonculée, bien délimitée et mesure environ 5 cm de diamètre. Elle est très pigmentée et présente un dégradé de couleurs allant de marron à noir.
Hypothèses diagnostiques
Le diagnostic différentiel inclus les 3 tumeurs buccales malignes les plus fréquentes chez le chien c’est à dire le mélanome malin, le carcinome épidermoïde et le fibrosarcome. Les autres tumeurs buccales bénignes ou malignes ne peuvent être exclues mais sont jugées moins probables.
Examens complémentaires
Afin de déterminer la nature de la masse et d’établir le bilan d’extension, des biopsies de la masse, un scanner tête-thorax-abdomen et des cytoponctions des nœuds lymphatiques sont planifiés. Etant donné l’âge de l’animal, des examens hématologiques et biochimiques sont également réalisés pour vérifier la présence d’autres anomalies concomitantes qui pourraient contrindiquer l’anesthésie notamment.
Les examens sanguins sont sans anomalie.
L’examen histologique révèle que la masse est un mélanome malin.
Le scanner met en évidence une masse de type tissulaire qui est localisée au niveau de la moitié rostrale du palais mou, mesure 2 cm d’épaisseur, 5,5 cm de large et 5 cm de long. Elle s’étend dans les tissus adjacents bilatéralement, ventralement aux muscles ptérygoïdiens médiaux. La masse fait protrusion dans le nasopharynx. Une discrète adénomégalie mandibulaire et rétropharyngée gauche est visualisée. Concernant le thorax, aucune image évocatrice de métastase pulmonaire n’est identifiée. L’abdomen ne présente aucune anomalie.
Les cytoponctions des ganglions mandibulaires ne mettent pas en évidence de prolifération tumorale.
En résumé, ce chien présente un mélanome oral de stade III a (T3a, N0, M0) ce qui correspond à une tumeur de taille supérieure à 4 cm (T3) sans invasion osseuse (a), sans invasion des ganglions (NO) et sans métastases pulmonaires (MO)1.
Classification TNM des tumeurs de la cavité orale du chien
Traitement
La masse identifiée chez ce chien est jugée non résécable chirurgicalement de part sa position anatomique. Une chimiothérapie associée à une radiothérapie ou une chimiothérapie seule sont proposés aux propriétaires qui décideront finalement de ne pas initier de traitement. Le chien a été euthanasié 3 mois plus tard pour cause de dégradation de son état général.
Les mélanomes font partie des tumeurs buccales les plus fréquentes chez le chien et la majorité d’entre eux sont malins2. Les races prédisposées aux mélanomes sont les scottish terriers, les goldens retrievers, les caniches et les terriers1 et ce sont souvent les petites races qui sont touchés par la forme maligne3. Cette maladie touche principalement les chiens âgés1 et les chiens mâles semblent plus à risque. Ce sont des tumeurs qui ont un pronostic sombre4 car elles progressent rapidement : elles sont souvent caractérisées par une invasion osseuse et une dissémination métastatique précoce. Le poumon est le site le plus communément rapporté de métastases viscérales. Les mélanomes malins ont différents degrés de pigmentation, allant de noir et brun à tacheté ou non pigmenté. Les mélanomes achromiques sont en général plus agressifs que ceux qui sont pigmentés.
Les signes cliniques associés à une tumeur orale dépendent de la taille de la lésion et de sa localisation. Les signes les plus couramment rapportés sont une dysphagie, des saignements buccaux et une halitose. Avec des néoplasmes de taille importante, la préhension de la nourriture peut être anormale et peut causer des ulcérations secondaires au trauma.
Le diagnostic est basé sur l’histopathologie.
Un bilan d’extension (scanner ou radiographies thoraciques 3 vues avec une échographie abdominale) est indispensable pour détecter d’éventuelles métastases pulmonaires. Un scanner ou une IRM donnent des informations primordiales sur l’étendue de la lésion notamment dans le but de planifier une chirurgie ou une radiothérapie.
Les nœuds lymphatiques régionaux (mandibulaires notamment) doivent être évalués (aspiration à l’aiguille fine ou biopsie) de manière systématique, même lorsqu’ils sont d’aspect normal. En effet, 40% des chiens qui ont des nœuds lymphatiques d’aspect normal présentent pourtant des métastases détectables à la cytologie. Un résultat négatif de ponction/biopsie incisionnelle de nœud lymphatique ne permet toutefois pas d’exclure une invasion régionale par des métastases. En effet, le nœud lymphatique ponctionné/biopsé n’est pas forcément celui qui draine réellement la tumeur3.
La durée de vie moyenne pour des chiens non traités est de 65 jours. Le temps de survie semble allongé chez les chiens qui n’ont pas d’invasion osseuse de la tumeur.
Les animaux sans métastases à distance sont en général candidats à l’application d’un traitement loco-régional. Le premier traitement à considérer est une excision chirurgicale de la masse avec 2 cm de marge ce qui implique presque toujours la nécessité d’une résection osseuse. Les médianes de survie rapportées avec la chirurgie seule varient entre 5 et 19 mois. L’autre option de traitement est la radiothérapie qui peut être utilisée en complément de la chirurgie ou seule : 82 à 94% des chiens présentent une réponse à la radiothérapie dont 50 à 70% une réponse complète. Cependant, la toxicité des radiations peut être associée à des effets secondaires : principalement des radiodermites ou des mucosites qui sont en général spontanément résolutifs au bout de quelques semaines. Les performances de la radiothérapie sont fortement conditionnées par la taille de la tumeur4. Le rôle de la chimiothérapie est mal défini. Elle est le plus souvent proposée en complément de la chirurgie et/ou de la radiothérapie, c’est-à-dire une fois le contrôle loco-régional de la tumeur obtenu, afin de limiter ou ralentir le développement de métastases à distance. Plus occasionnellement, elle est utilisée sur des tumeurs non résécables mais le taux de réponse est faible, inférieur à 30% pour la carboplatine.
L’immunothérapie est une stratégie nouvelle dans le traitement du mélanome malin. Un vaccin ADN est commercialisé dans certains pays. La cible de ce vaccin est l’enzyme tyrosinase qui intervient dans la synthèse de mélanine1. Les résultats des études portant sur ce vaccin sont contrastés : si certains chiens répondent indéniablement au traitement, ils ne semblent pas constituer la majorité de la population et il n’existe actuellement aucun test permettant de prédire la réponse à ce vaccin.
- PJ. Bergman. Canine oral melanoma. Clin Tech Small Anim Pract. 2007; 22: 55–60.
- R. C. Smedley1 et coll. Immunohistochemical Diagnosis of Canine Oral Amelanotic Melanocytic Neoplasms. Veterinary Pathology. 2011 ; 48(1) : 32-40.
- K.Taney, MM.Smith. Oral and Salivary Gland Disorders. In : Ettinger SJ, ed, Textbook of veterinary internal medicine. Seventh ed. Philadelphia : Saunders Co ; 2014 : 857-883.
- M. Kawabe et coll. Outcomes of dogs undergoing radiotherapy for treatment of oral malignant melanoma: 111 cases (2006–2012). J Am Vet Med Assoc. 2015; 247: 1146–1153.