Ophtalmologie : Quel est votre diagnostic ?

Dr Damien BARRAUD, Dr Pauline VACHERAND, Dr Thomas DULAURENT (CHV Saint-Martin), Dr Pierre-François ISARD (CHV Saint-Martin)

Un chien mâle castré bouvier bernois de 11 ans a été présenté en urgence en consultation d’ophtalmologie pour une perte de vision brutale. Une modification de l’aspect des yeux était également rapportée avec l’apparition d’une rougeur des conjonctives quelques jours auparavant, ne rétrocédant pas à l’administration locale d’anti-inflammatoires stéroïdiens. L’examen clinique général montrait une importante augmentation du volume des nœuds lymphatiques poplités, pré-scapulaires et rétro-mandibulaires. Le reste de l’examen clinique général ne révélait pas d’anomalie des grandes fonctions. La température corporelle était par ailleurs normale.

A l’examen oculaire, la vision a été considérée comme altérée, avec absence de réponse à la menace et à l’éblouissement. Le patient se cognait contre les obstacles, à la fois à la lumière et à l’obscurité. Le test à la boule de coton était négatif. Un blépharospasme marqué était présent, signe d’une douleur intense partiellement levée par l’administration d’anesthésique local (chlorhydrate d’oxybuprocaïne 0.4%, Cébésine®, Bausch & Lomb, France). La pupille de l’œil droit était modérément contractée mais ne se dilatait pas à l’obscurité ni ne se contractait à la lumière. La pupille de l’œil gauche était contractée et ne se dilatait pas à l’obscurité.

La photographie 1 montre l’aspect de l’œil droit au moment de la consultation. L’aspect de l’œil gauche était semblable.

Aspect de l’œil droit au moment de la consultation

Photographie 1 : Aspect de l’œil droit au moment de la première visite. La membrane nictitante est légèrement procidente. Un léger œdème cornéen est visible. L’iris est enflammé. Des synéchies marginales sont en cours de formation, notamment dans la partie ventrale de la pupille. Des pigments se déposent sur la capsule antérieure. L’humeur aqueuse est turbide. Une discrète injection ciliaire est présente. Le reflet du fond d’œil dans l’aire pupillaire est altéré.

QUESTIONS

1. Quelles sont les lésions observées ?

2. Quel est le diagnostic clinique et quelles hypothèses doivent être envisagées ?

3. Quels examens complémentaires relatifs à l’ophtalmologie doivent être réalisés ?

4. Quel est la marche à suivre, notamment pour les lésions oculaires ?

5. Quelle évolution peut-on prévoir pour les lésions oculaires ?

RÉPONSES
1. Quelles sont les lésions observées ?

L’examen de l’œil droit montre une importante hyperhémie conjonctivale. La cornée présente un œdème cornéen diffus relativement discret. L’humeur aqueuse semble turbide. La pupille est déformée et semble collée au cristallin. L’iris est par ailleurs enflammé et fait saillie vers l’avant, prenant la forme d’un « iris bombé ». Le reflet pupillaire est trouble.

2. Quel est le diagnostic lésionnel et quelles hypothèses doivent être envisagées ?

Les signes observés sont ceux d’une uvéite affectant au moins l’uvée antérieure et l’uvée intermédiaire. Le diagnostic lésionnel oculaire (uvéite), combiné aux éléments épidémiologiques et à la présence d’une adénopathie périphérique marquée devait faire envisager un lymphome. D’autres maladies systémiques d’origine infectieuse ou parasitaire, et notamment la Leishmaniose, ne pouvaient pas être écartées à ce stade des investigations.1, 2, 3

3. Quels examens complémentaires relatifs à l’ophtalmologie doivent être réalisés ?

La mesure de la pression intraoculaire est une étape importante de l’examen ophtalmologique, de sorte qu’elle peut ne plus être considérée comme un examen complémentaire, mais comme un élément de l’examen initial. Ici, la pression intraoculaire a été mesurée à 37 mm Hg à droite et 11 mm Hg à gauche.
Au cours de l’examen initial, l’observation du fond d’œil était rendue impossible par une trop forte perte de transparence du vitré. C’est pourquoi une échographie a été réalisée. Celle-ci a révélé un décollement de rétine infundibuliforme et un décollement choroïdien complet. La choroïde de chaque œil était par ailleurs très fortement épaissie, signe d’une très forte inflammation. La photographie 2 montre l’échographie oculaire droite.
Le résultat des examens complémentaires a permis de mettre en évidence une atteinte inflammatoire du segment postérieur, en plus de l’atteinte du segment antérieur. Le diagnostic lésionnel était donc une panuvéite bilatérale très sévère, compliquée d’un décollement de rétine complet responsable de la perte de vision.

Echographie oculaire droite

Photographie 2 : Echographie oculaire droite. La choroïde est œdématiée et décollée. La rétine est aussi complètement décollée.

4. Quel est la marche à suivre ?

La première étape de la prise en charge de ce type de cas est la réalisation d’une cytoponction des nœuds lymphatiques hypertrophiés pour examen cytologique et immunophenotypage. Un bilan biologique complet doit aussi être proposé (hémogramme, biochimie sanguine). Devant l’intensité et la nature des lésions oculaires, un traitement médical d’urgence, symptomatique, doit être mis en place avant obtention des résultats de la cytoponction. Si le bilan biologique le permet, une injection sous conjonctivale d’un mélange de corticoïdes retards (0.2 mL de triamcinolone, Canitedarol®, Merial®) et immédiat (0.2 mL de dexaméthasone, Dexadreson®) doit être réalisée, en complément de l’instillation locale d’atropine 1% (Atropine Faure®) et de l’administration intravéineuse de dexamethasone (0.2 mg/kg).
Un traitement local et général à base de corticoïdes doit ensuite être prescrit pour une durée de deux semaines (Maxidrol collyre®, Alcon, TiD OU, et Megasolone, 1 mg/kg SiD PO pendant une semaine puis un jour sur deux pendant une semaine supplémentaire), en complément de l’administration locale d’atropine 1% à raison de trois administrations par jour dans chaque œil pendant 2 semaines. La mise en place d’un traitement agressif permet de réduire considérablement l’inflammation uvéale en quelques jours (photographie 3).
Une fois les résultats de la cytologie et de l’immunophenotypage obtenus et le diagnostic de lymphome précisé, une chimiothérapie peut être mise en place, indépendamment des lésions oculaires.
(Notons qu’une étude récente a montré l’intérêt de la cytologie réalisée sur un prélèvement d’humeur aqueuse dans le diagnostic des lymphomes chez le chien et le chat).4

Aspect de l’œil droit après 15 jours de traitement

Photographie 3 : Aspect de l’œil droit après 15 jours de traitement. Des dépôts pigmentés sont visibles sur la capsule antérieure du cristallin. Une synéchie marginale est présente dans le cadran inféronasal. La pupille est légèrement déformée. Tous ces signes sont des séquelles inflammatoires, relativement bénignes ici.

5. Quelle évolution peut-on prévoir pour les lésions oculaires ?

Le pronostic de telles lésions est mauvais. Il dépend de l’intensité et de la précocité de la prise en charge. Dans un certain nombre de cas, le contrôle de l’inflammation permet une remise en place de la choroïde contre la sclère et de la neurorétine contre l’épithélium pigmentaire. Le pronostic fonctionnel dépend de la capacité de la neurorétine à rétablir les contacts cellulaires avec l’épithélium pigmentaire. La fonction visuelle peut donc être rétablie. Il n’est cependant pas rare d’observer des atrophies rétiniennes secondaires, qui interviennent à moyen / long terme après la réapplication des structures. Ici, les rétines et les choroïdes se sont recollées efficacement. Le patient a retrouvé une autonomie au quotidien pendant plusieurs mois. Les rétines se sont toutefois atrophiées, un an environ après la prise en charge initiale, pénalisant peu à peu la vision (photographie 4 montrant l’œil droit).

Aspect du fond d’œil droit un an après la première visite

Photographie 4 : Aspect du fond d’œil droit un an après la première visite. La vascularisation rétinienne est grêle. Le tapis est remanié. Des migrations pigmentaires parcheminent l’ensemble du fond d’œil. Tous ces éléments sont des manifestations d’atrophie rétinienne et pénalisent le pronostic visuel.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Massa KL, Gilger BC, Miller TL, Davidson MG. Causes of uveitis in dogs: 102 cases (1989-2000). Veterinary Ophthalmology. 2002; 5: 93-8.
  2. Cullen CL, Caswell JL, Grahn BH. Intravascular lymphoma presenting as bilateral panophthalmitis and retinal detachment in a dog. J Am Anim Hosp Assoc. 2000; 36:337-42.
  3. Goodhead AD. Uveitis in dogs and cats: guidelines for the practitioner. J S Afr Vet Assoc. 1996; 67: 12-9.
  4. Linn-Pearl RN, Powell RM, Newman HA, Gould DJ. Validity of aqueocentesis as a component of anterior uveitis investigation in dogs and cats. Vet Ophthalmol. 2015; 18: 326-34.
Privacy Settings
We use cookies to enhance your experience while using our website. If you are using our Services via a browser you can restrict, block or remove cookies through your web browser settings. We also use content and scripts from third parties that may use tracking technologies. You can selectively provide your consent below to allow such third party embeds. For complete information about the cookies we use, data we collect and how we process them, please check our Privacy Policy
Youtube
Consent to display content from - Youtube
Vimeo
Consent to display content from - Vimeo
Google Maps
Consent to display content from - Google