Luxation du tendon du muscle fléchisseur superficiel des doigts
Dr Tiare DELAUNE (CHV Saint-Martin) – Dr Delphine Martin (Praticienne itinérante) – Dr Fabrice Bernard (CHV Saint-Martin)
Une chienne Colley pesant 20kg et âgée de un an et demi est présentée en consultation pour exploration d’une boiterie du membre pelvien droit d’apparition brutale, ne rétrocédant pas sous traitement anti inflammatoire.
Cas Clinique
1. Anamnèse, examen clinique, diagnostic
La chienne est référée pour une boiterie avec appui du membre pelvien droit apparue 5 jours avant la consultation suite à des exercices de courses avec changements de direction rapides. Initialement permanente, cette boiterie est intermittente au moment de la consultation.
Aucune anomalie n’est détectée lors de l’examen clinique général. Lors de l’évaluation de la démarche, une boiterie modérée du membre postérieur droit est constatée avec une aggravation aigue intermittente. L’examen orthopédique met en évidence un gonflement modéré des tissus mous en regard de bourse synoviale du calcanéum droit. Une pronation associée à une flexion du tarse permet de révéler une luxation latérale du tendon du muscle fléchisseur superficiel des doigts (MFSD) en regard de la tubérosité du calcanéum.
Luxation latérale du tendon
Lors de la manipulation, la luxation peut être induite et réduite manuellement par flexion puis extension du tarse. Des radiographies du membre pelvien atteint permettent de mettre en évidence un léger épaississement des tissus mous en regard de l’extrémité proximale du calcanéum et l’absence d’autre anomalie.
Absence d’anomalie radiovisible en regard du grasset. Tuméfaction modérée des tissus mous en regard de l’extrémité proximale du calcanéum (flèche).
2. Traitement chirurgical
Anesthésie générale
La prémédication du patient est réalisée par administration lente intraveineuse de morphine (Morphine Lavoisier® 0.3mg/kg) et de diazépam (Valium® 0.2mg/kg) et de kétamine (Kétamine 1000® 5 µg/kg). Après induction à l’aide de propofol (PropoVet® titré au besoin) et intubation endotrachéale, l’anesthésie est entretenue par un mélange d’isoflurane 2% et d’oxygène pur, en circuit de type réinhalatoire. Une antibioprophylaxie à l’amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin® 12.5mg/kg par voie intra veineuse lente) est instaurée.
Un électrocardiogramme continu, ainsi qu’un monitorage de la pression partielle en oxygène, de la température corporelle, de la capnométrie et de la pression partielle en oxygène sont mis en place. Une perfusion de lactate de Ringer au débit de 10mL/kg/h est instaurée pour la durée de la chirurgie.
Technique chirurgicale
Un abord médial de la calotte calcanéenne s’étendant de la partie distale du tendon calcanéen commun jusqu’au quart proximal du calcanéum est réalisé.
Le tendon est réduit. Le rétinacle médial est mis sous légère tension par sept sutures simples interrompues avec un fil non résorbable en nylon de gros diamètre (Ethilon® 2-0).
Une pression digitée réalisée de part et d’autre du tendon permet de s’assurer que celui ci est bien réduit, stable, centré sur l’extrémité proximale du calcanéum et qu’aucune luxation médiale ou latéral du tendon n’est possible.
Les plans sous cutanés puis cutanés sont ensuite refermés à l’aide d’un fil résorbable (Biosyn® [3-0]) et d’un fil non résorbable (Monosof® [4-0]).
Un pansement de type Robert Jones avec une attelle en résine positionnée latéralement est mis en place.
3. Soins post opératoires
Des injections sous-cutanées de morphine sont effectuées toutes les 4 heures pendant les 12 premières heures post opératoires. Un traitement anti inflammatoire à base de cimicoxib à la dose de 2mg/kg est instauré au cours de l’hospitalisation et poursuivi pendant quatre jours. L’antibioprophylaxie est poursuivie pendant 5 jours.
L’animal est rendu à ses propriétaires 24 heures après l’intervention, et un repos strict de 4 semaines minimum avec changement hebdomadaire du pansement avec attelle est préconisé.
4. Evolution
Au retrait de l’attelle 4 semaines post opératoire, la bourse calcanéenne reste stable et la chienne ne boite que très légèrement. Lors du suivi 8 semaines après l’intervention, la chienne ne boite plus et une reprise progressive de l’exercice est instaurée.
Reprise progressive de l’exercice : marche/trot + Cavaletti. La chienne ne présente pas de boiterie.
La luxation du tendon du MFSD est une anomalie peu fréquente chez le chien. Elle a également été décrite chez les chevaux, les bovins et un chat (1-6). Chez le chien, elle touche généralement des animaux jeunes ou d’âge moyen. Les individus atteints sont en grande majorité de races Shetland ou Colley (les deux races représentant 65% des cas décrits dans la littérature). Plusieurs études rétrospectives(2,7) rapportent que la luxation du MFSD a tendance à être rencontrée plus fréquemment chez les femelles Shetland que chez les mâles.
Le MFSD prend origine avec le chef latéral du gastrocnémien sur la tubérosité supracondylienne fémorale et sur l’os sésamoïde latéral. A mi hauteur du tibia, son tendon s’enroule autour de celui du gastrocnémien et s’élargit pour coiffer la tubérosité calcanéenne. Des rétinacles médial et latéral s’insérant médialement et latéralement stabilisent le tendon sur l’extrémité du calcanéum. Une bourse synoviale est présente entre le tendon et la tubérosité calcanéenne. Le tendon continue ensuite distalement et se divise en quatre branches s’insérant chacune sur un doigt (8).
L’étiologie et les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la luxation du tendon du MFSD ne sont actuellement pas encore complètement élucidés. Cependant une étude chez les Shetland suggère un caractère autosomique récessif de cette affection (7). Une anomalie de conformation de la tubérosité calcanéenne pourrait également contribuer à l’apparition de cette affection, la tubérosité calcanéenne du membre atteint présentant en général un sillon peu profond/absent et une pente orientée distolatéralement par rapport au membre controlatéral, contribuant à rendre le tendon instable (4). L’insertion du rétinacle du tendon du MFSP est également plus importante du côté latéral que du côté médial. Ceci pourrait expliquer pourquoi la luxation du MFSP est latérale par déchirement du rétinacle médial dans plus de 80% des cas. Sur 33 cas rapportés dans la littérature (1-5,9), seuls deux cas de luxation étaient médiaux et deux cas étaient atteints de façon bilatérale. Enfin, des facteurs biomécaniques prédisposants tels que la rotation de l’articulation avec le tarse en position fléchie, un trauma ou un animal obèse ont été avancés.
Les animaux atteints sont en général présentés pour une boiterie d’apparition aigue, pouvant être intermittente ou permanente, de grade 1 à 5. Dans plus de 90% des cas rapportés dans la littérature, cette boiterie est unilatérale. Un épanchement de synovie de la bourse calcanéenne est présent dans tous les cas(1-7,9). La luxation peut être induite et réduite manuellement par flexion puis extension du tarse. En cas d’atteinte chronique, le tendon peut être luxé en permanence, un gonflement des tissus mous en regard du calcanéum étant alors la seule anomalie détectable.
Il est recommandé de réaliser des radiographies du membre atteint et du membre controlatéral, afin d’exclure toute autre cause de boiterie (fracture du calcanéum, infection ostéo-articulaire, déchirure partielle du tendon calcanéen commun…), et de comparer l’anatomie des tubérosités calcanéennes.
Le traitement médical est inefficace. Le traitement chirurgical quand à lui, s’il est réalisé avant le développement d’un tissu fibreux abondant, donne d’excellents résultats (plus de 92% de réussite dans une étude)(2).
En 1ère intention, le rétinacle du côté opposé à la luxation (médial si la luxation est latérale) est suturé au tendon par le biais de 8-10 sutures simples d’apposition non résorbables et de gros diamètre. Si le rétinacle a été étiré, celui ci peut être réséqué ou imbriqué. Si peu de tissus mous sont à disposition, ou si les sutures placées ne sont pas sures, une ou deux vis peuvent être insérées à proximité du tendon au niveau du calcanéum et être utilisées comme ancrage pour les sutures. De la même manière, deux trous peuvent être forés à travers la tubérosité pour faciliter le placement des sutures entre le tendon et l’os.
En cas d’échec du traitement, un renforcement du rétinacle avec une maille en polypropylène peut être réalisé (9). Il s’agit de la technique recommandée pour le traitement des luxations du tendon du MFSD chez les chevaux.
La contention du membre opéré pendant la période post opératoire est essentielle pendant 2 à 4 semaines, avec restriction de l’effort 2 à 4 semaines de plus. Une mauvaise contention, ou un effort non limité augmentent les risques de récidive.
Conclusion
La luxation du tendon du MFSD est une affection rare des chiens, touchant en grande majorité des Shetland et des Colley. Le diagnostic est clinique, et est confirmé par des examens d’imagerie. Le traitement médical est inefficace, le résultat cliniques lors de traitement chirurgical précoce est excellent, à condition qu’une contention adéquate du membre en post opératoire soit mise en place. Le pronostic s’assombri cependant lorsque l’affection est chronique ; des techniques chirurgicales employant des moyens de renforcement du rétinacle doivent alors être envisagées.
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- Evans HE. Miller’s anatomy of the dog. 3rd ed. Philadelphia, Pennsylvannia, USA: Saunders; 1993. 369-370.
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