Atteinte spinale par balle chez un chat : Extraction des fragments métalliques du canal vertébral assistée par vidéo-endoscopie et suivi à long-terme

Dr Luis MATRES-LORENZO – Dr Fabrice Bernard (CHV Saint-Martin)

Anamnèse

Un chat Européen mâle castré de 2 ans a été admis par le service d’urgence du CHVSM pour l’évaluation d’une paralysie aiguë des membres postérieurs associée à une blessure par balle sur le flanc gauche.

Examen clinique

L’examen clinique du patient a mis en évidence une paraplégie des membres postérieurs, une douleur à la palpation de la colonne lombaire et une plaie cutanée circulaire de 9 mm au niveau de la 6ème vertèbre lombaire. La palpation abdominale était souple et la vessie très dilatée.

Examen neurologique

L’évaluation neurologique a révélé une paraplégie associée à une paralysie de la queue. La perception de la douleur profonde était présente pour le membre pelvien gauche (atteinte neurologique de grade IV), 1 mais absente sur la patte arrière droite et la queue (atteinte neurologique de grade V). Les réflexes patellaire et de retrait étaient absents pour les deux membres. Le réflexe périnéal était normal. Aucune autre anomalie n’a été détectée lors de l’examen neurologique. La vessie pouvait être vidangée facilement. Les résultats de l’examen étaient en faveur d’une atteinte au niveau du segment médullaire L4-S1.

Examen neurologique préopératoire. Absence de sensibilité douloureuse profonde sur le membre postérieur droit, cependant encore présente sur le membre postérieur gauche

Démarche diagnostique

Le bilan sanguin complet (hémogramme, profil biochimique et ionogramme) ne présentait pas d’anomalie.
Deux radiographies orthogonales de la colonne lombaire ont été réalisées sous sédation (médétomidine 5 µg/kg IV et morphine 0,2 mg/kg IM). Plusieurs fragments de densité métallique ont été identifiés dans le canal vertébral au niveau de la sixième vertèbre lombaire.

Radiographie préopératoire de la colonne lombaire montrant les fragments du plomb au niveau de la 7ème vertèbre lombaire

Un examen tomodensitométrique a été réalisé par la suite sous anesthésie générale. Trois éléments métalliques de 3 à 7 mm diamètre étaient situés dans la lumière du canal vertébral de L6. Des éléments de petite taille de densité osseuse étaient également présents dans le canal vertébral.

Vues longitudinale, coronales et transverse du scan préopératoire montrant des fragments de métal du plomb et des fragments de densité minérale à l’intérieur du canal vertébrale de L6 et une distension vésicale mesurant 7 x 5 cm

Traitement chirurgical

Le chat a été placé en décubitus sternal et préparé pour l’intervention chirurgicale. Une mini-hémilaminectomie gauche a été réalisée au niveau du pédicule de L6 afin d’agrandir l’orifice créé par la pénétration de la balle. L’extrémité d’un arthroscope de 2,4 mm a été introduite dans le canal rachidien. La magnification et la visualisation à 30° par rapport à l’axe de l’arthroscope ont permis d’évaluer avec précision les lésions de la moelle épinière et de visualiser précisément l’emplacement des différents fragments métalliques et de les extraire avec des instruments d’arthroscopie.

Vues endoscopiques peropératoires lors de l’extraction des corps étrangers du canal vertébral. 3a : Balle sphérique localisée dans la moelle épinière ; 3b : Trou restant dans le tissue neurologique après extraction de la balle sphérique avec les instruments endoscopiques ; 3c : Vue de la partie arrière du plomb intégré dans la moelle épinière avec des fragments des poils

Une mini-laminectomie dorsale a été effectuée sur l’espace discal L6-L7 pour aider au retrait du reste des fragments de plomb.

Image peropératoire montrant la position de l’arthroscope à travers de la fenêtre de mini-hémilaminectomie

Des radiographies post-opératoires ont permis de confirmer le retrait de tous les morceaux de balle.
Le patient est resté hospitalisé pendant 5 jours après l’intervention pour gérer la douleur (morphine 0,2 mg/kg SC pendant 24 heures et anti-inflammatoires non stéroïdiennes en SC pendant 4 jours) et vidanger manuellement sa vessie. Le relâchement du tonus musculaire du sphincter vésical a été favorisé grâce à l’administration de diazepam (0,5mg/kg BID) et de prazosin (0,1mg/kg PO).

Suivi

Après le retour à la maison, les propriétaires avaient pour instructions de poursuivre la physiothérapie et la vidange manuelle de la vessie deux fois par jour.
Lors de la visite de suivi 8 semaines après la chirurgie, le chat était ambulatoire avec une démarche plantigrade. La vessie devait encore être vidangée manuellement par les propriétaires deux fois par jour. L’examen neurologique a montré une paraparésie avec un déficit proprioceptif marqué et une amyotrophie sévère des deux membres postérieurs associés à une paralysie persistante de la queue. La perception de la douleur profonde était de nouveau présente sur le membre postérieur droit.

Evolution neurologique à 8 semaines post-opératoire

Lors du dernier suivi à 24 mois, les propriétaires rapportaient qu’il était capable de monter et descendre les escaliers et de sauter sur une chaise. Le chat bougeait sa queue. Les examens biochimique et cytobactériologique urinaire réalisés n’ont pas démontré d’anomalie.

Evolution neurologique à 2 ans post-opératoire

DISCUSSION

Ce cas clinique est la première description de la gestion chirurgicale d’une atteinte par balle de la moelle épinière chez un chat. Aucune technique vidéo assistée de décompression de la moelle épinière n’avait été rapportée jusqu’à présent chez le chat. Malgré le pronostic réservé, le patient a montré une amélioration progressive de la fonction locomotrice de ses membres postérieurs tout au long du suivi de 24 mois.

La nociception profonde était présente sur l’un des membres postérieurs au moment de la présentation. Cela a permis d’exclure une section complète de la moelle épinière par le plomb. Cependant les propriétaires ont été informés du pronostic réservé concernant la récupération fonctionnelle du fait de la perte de sensibilité profonde de l’autre patte arrière et la forte probabilité de lésions significatives de la moelle épinière.

Chez ce chat le retrait des fragments de plomb a été effectué à la fois pour décomprimer les tissus nerveux et pour prévenir la toxicité locale secondaire à la présence de morceaux de métaux. Plusieurs études chez l’homme ont démontré les avantages de la décompression de la moelle épinière pour permettre une meilleure récupération fonctionnelle, lorsque des lésions par balle sont situées caudalement à T12.2 La présence de particules de métaux lourds peut conduire à une intoxication chimique directe et une inflammation secondaire.3 Dans un étude récente, la moelle épinière du lapin a présenté des réactions différentes en fonction des types de métaux et de leur localisation.4 Des fragments de métaux lourds en position extradurale n’avaient pas entraîné de neurotoxicité locale. Par contre des morceaux de balles de cuivre ou de plomb en position intradurale avaient été à l’origine d’une zone de destruction neuronale. Dans notre cas clinique, le retrait chirurgical de fragments de plomb a été associé à une amélioration clinique.

Afin de retirer les fragments sans induire d’autre dommage aux structures nerveuses, un arthroscope de 2,4 mm avec une lentille à 30° a été utilisé. Des techniques chirurgicales mini-invasives ont été décrites pour la gestion des hernies discales lombaires, lombo-sacrées ou cervicales chez le chien.4, 5, 6 L’intervention réalisée chez ce chat n’avait pas pour objectif d’être une procédure totalement minimalement invasive. Cependant, le grossissement et l’éclairage fourni par l’utilisation d’un arthroscope a permis de faciliter la localisation et la récupération des morceaux de plomb et d’os tout en minimisant la manipulation et l’ouverture des tissus environnants. L’abord local a été limité à une mini-hémilaminectomie et une laminectomie dorsale minime, diminuant le risque d’instabilité vertébrale postopératoire, d’autant plus que la vertèbre avait déjà été endommagée par la balle. A différence d’un microscope chirurgical ou de loupes binoculaires, l’angle de visualisation de 30 ° procuré par l’arthroscope a permis la visualisation des fragments sur différents angles.

Il y a peu d’informations sur l’évolution à long terme suite à une atteinte nerveuse sévère secondaire à une blessure par balle chez les chats. La plupart des cas rapportés dans la littérature vétérinaire se sont conclus par une euthanasie immédiatement ou quelques jours après le traumatisme lorsqu’une perte de nociception était constatée au moment du diagnostic.7, 8, 9 Le cas décrit ici montre une récupération de la nociception après traitement chirurgical. Comme d’autres auteurs l’ont décrit précédemment, certains chats peuvent avoir un pronostic favorable après une lésion de la moelle épinière si la nociception profonde est présente sur une portion d’un membre ou de la queue. 10

Considérant l’évolution clinique favorable de ce cas, la décompression de la moelle épinière avec retrait des corps étrangers doit être considérée lors d’atteinte de la moelle épinière par balle chez le chat, même lors de déficits neurologiques graves.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Pavletic MM. Gunshot wound management. Compend Contin Educ Pract Vet 1996; 18:1285–1299.
  2. Fehlings MG. Editorial: recommendations regarding the use of methylprednisolone in acute spinal cord injury: making sense out of the controversy. Spine 2001; 26: S56–7
  3. Sabrina L., Barry, Lafuente MP, et al: Arthropathy caused by a lead bullet in a dog. J Am Vet Med Assoc 2008;15; 232 (6): 886-888
  4. Tindel N, Marcillo A, Tay B, et al: The Effect of Surgically Implanted Bullet Fragments on the Spinal Cord in a Rabbit Model. J Bone Joint Surg Am, 2001; 83 (6): 884 -890
  5. Carozzo C, Cachon T, Gabanou P, et al: Videoassisted surgery for spinal cord decompression. Proceedings from the European College of Veterinary Surgeons 18th annual scientific meeting; 2009 July 2-4; Nantes, France. p. 632–624. 8
  6. Leperlier D, Manassero M, Blot S, et al: Minimally invasive video-assisted cervical ventral slot in dogs. A cadaveric study and report of 10 clinical cases. Vet Comp Orthop Traumatol 2011; 24 (1): 50-56
  7. Selcer RR: Management of vertebral column fractures in dogs and cats: 211 cases (1977–1985). J Am Vet Med Assoc 1991; 198: 1965–1968
  8. Olby N, Levine J, Harris T, et al: Long-term functional outcome of dogs with severe injuries of the thoracolumbar spinal cord: 87 cases (1996–201). J Am Vet Med Assoc 2003; 222: 762–769
  9. Grasmueck S: Survival rates and outcomes in cats with thoracic and lumbar spinal cord injuries due to external trauma. J Small Anim Pract 2004; 45: 284–288
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