Luxation temporo-mandibulaire récidivant chez un berger australien

Dr Marine SCHEFFEN – Dr Antoine BERNARDÉ (CHV Saint-Martin) – Dr Aline GAY (CHV Saint-Martin)

La luxation de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) est une affection rare, pouvant conduire à un blocage permanent de la bouche en position ouverte. Elle résulte d’une instabilité médio-latérale de l’ATM, consécutive à une dysplasie de l’ATM ou à un traumatisme, prédisposant à la luxation. Nous montrons ici l’intérêt du scanner pour la prise en charge chirurgicale chez un chien présentant un blocage de la mâchoire en position ouverte.

Introduction

Une chienne berger australien de 2 ans est présentée pour blocage de la mâchoire en position ouverte, persistant depuis plus de 24 h. Les propriétaires ne rapportent aucun traumatisme récent. La chienne aurait connu un épisode similaire 1 an plus tôt, résolu alors par manipulations sous sédation.

Examen clinique

L’animal est alerte et en bon état général. La mandibule, bloquée en position ouverte, est déviée latéralement et ventralement à droite. Une déformation est perceptible par palpation en regard de l’arcade zygomatique droite. L’évaluation neurologique des nerfs crâniens ne montre aucune anomalie. La mobilisation de la mâchoire chez l’animal vigile est douloureuse, et n’autorise ni ouverture ni fermeture. L’examen attentif de la cavité buccale ne révèle aucune lésion ni corps étranger. Sous anesthésie générale, la manipulation ne permet pas de remettre en place la mandibule.

Examens complémentaires

A ce stade, les techniques d’imagerie sont nécessaires à l’évaluation des articulations temporo-mandibulaires. Compte tenu de la difficulté d’interprétation et du nombre important de clichés nécessaires pour des radiographies du crâne, un examen tomodensitométrique de la tête est réalisé.

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Examen tomodensitométrique de la tête et reconstruction 3D en filtre osseux. Le processus coronoïde de la mandibule est en dehors de la fosse temporale et vient en conflit, au contact de l’arcade zygomatique (flèche). La mandibule inférieure est déviée latéralement et ventralement.

La reconstruction osseuse 3-D permet de visualiser le processus coronoïde de la mandibule droite en dehors de la fosse masseter, au contact de l’arcade zygomatique. L’articulation temporo mandibulaire (ATM) contra-latérale est luxée et les surfaces articulaires ne montrent aucun signe de remaniements ou anomalie de conformation.

Diagnostic

Il s’agit d’un événement isolé de luxation latérale des ATMs, sans évidence de dysplasie pré-existante.

Traitement

La luxation est réduite chirurgicalement par ostectomie partielle de l’arcade zygomatique et du processus coronoïde à droite. La chienne est positionnée en décubitus latéral avec le coté affecté surélevé. La peau est incisée le long du bord rostro-ventral de l’arcade zygomatique sur environ les 2/3 de sa longueur. Les insertions musculaires sont libérées à minima pour protéger la branche dorsale du nerf facial, permettant de visualiser le bord dorsal du processus coronoïde au contact de l’arcade zygomatique.

Processus coronoïde au contact de l’arcade zygomatique.

L’évaluation de la résistance à l’ouverture et la fermeture de la mâchoire permettent de déterminer le site d’ostéctomie : les 2/3 de la longueur et largeur de l’arcade zygomatique sont excisés et la hauteur du processus coronoïde est réduite. La fenêtre osseuse ainsi créée permet au processus coronoïde de retrouver médialement sa position dans la fosse temporale.

Évolution

Le scanner de contrôle post chirurgical permet de visualiser la fenêtre d’ostectomie et la mandibule en place.

Examen tomodensitométrique post- chirurgical de la tête et reconstruction osseuse 3D. Fenêtre osseuse crée par ostectomie partielle de l’arcade zygomatique et du processus coronoïde.

Au réveil, le chien a récupéré la fonction motrice d’ouverture/fermeture de la gueule avec une amplitude satisfaisante. Affamée, la chienne se nourrit spontanément quelques heures plus tard, sans montrer aucun signe d’inconfort.

DISCUSSION

L’ATM est une articulation condylaire entre le condyle mandibulaire et la fosse temporale par l’intermédiaire d’un ménisque. L’articulation est maintenue par une capsule articulaire, renforcée par un ligament latéral. Parmi les muscles masticateurs, seul le digastrique abaisse la mandibule, ouvrant la gueule, tandis que le masséter, le temporal et les ptérygoïdiens médial et latéral élèvent la mandibule, ferment la mâchoire, et maintiennent les condyles dans leur fosse respective. L’ATM des carnivores permet surtout les mouvements de charnière, n’autorisant qu’une faible amplitude de mouvements latéraux des mandibules (2,9).

La luxation non-traumatique des ATMs est le plus souvent consécutive à une dysplasie de ces articulations, d’étiologie inconnue, responsable d’une instabilité médio-latérale de l’articulation. Elle se manifeste lors d’épisodes de luxation par un blocage en position ouverte de la mâchoire. Elle touche principalement les jeunes chiens adultes chondrodystrophiques et brachycéphales, mais peut également se rencontrer chez le chat. La dysplasie de l’ATM a également été rapportée chez le Saint Bernard, le Boxer, le Setter Irlandais, le Golden retriever et le Labrador Retrievers. Chez le Cavalier King Charles (6), et dans une moindre mesure le Cocker Spaniel Américain, le teckel (6), le Carlin et le Shih Tzu (5), la dysplasie de l’ATM est largement répandue et réputée asymptomatique : il s’agirait davantage d’un trait morphologique plutôt que d’une maladie. Chez ces petites races, l’ATM est instable suite une fosse mandibulaire peu profonde et un condyle mandibulaire difforme (8), ce qui n’a pas été identifié dans le cas présenté ici. Les symptômes peuvent survenir dès 6 mois et se manifestent par des épisodes récurrents de blocage intermittent de la mâchoire en position ouverte, de la douleur, des bâillements répétés, un grincement de dents et une dysorexie. Ces épisodes sont le plus souvent de courtes durées et se résolvent spontanément. Hors crise, l’examen clinique ne met généralement aucune anomalie en évidence, excepté une fonte discrète des muscles masticateurs lors d’atteinte chronique. Dans de rares cas, le déplacement latéral des mandibules est tel que l’un des processus mandibulaires coronoïdes se porte latéralement au bord ventral du zygoma homo-latéral. Le chien est alors présenté avec la mâchoire ouverte et bloquée, une protrusion correspondant au processus coronoïde étant palpable du côté correspondant à la latéralisation de l’articulation temporo mandibulaire luxée : si les mandibules se sont luxées vers la droite, le conflit mandibulo-zygomatique sera du côté droit (2) L’origine traumatique est également possible. Dans le cas présent, les propriétaires ont rapporté un épisode similaire 1 an plus tôt suite à un choc, pour lequel la réduction avait pu alors se faire par manipulations sous sédation. Il est probable que l’instabilité de l’ATM consécutive à un traumatisme se soit accentuée avec le temps, jusqu’à conduire à une luxation de plus grande amplitude avec le conflit mandibulo-zygomatique décrit plus haut.

Le diagnostic différentiel d’une mâchoire inapte à la fermeture inclut un corps étranger oral, une subluxation ou luxation temporo mandibulaire traumatique, une fracture mandibulaire, une dysplasie de l’articulation temporo mandibulaire et une lésion du nerf trijumeau.

Le scanner est l’examen d’imagerie de choix pour explorer l’ATM : il permet de visualiser les anomalies de conformations articulaires primaires et les remaniements secondaires à l’origine de la luxation. Les anomalies typiques d’une dysplasie de l’ATM sont une fosse mandibulaire peu profonde, un processus rétro-articulaire petit ou absent (3), un aplatissement des condyles mandibulaires, une fosse et des condyles mandibulaires obliques, une laxité de la capsule articulaire et de ses ligaments (2). L’arthrose est la plus fréquente des atteintes concomitantes chez le chien (3). La luxation traumatique de l’ATM est un événement isolé, et l’articulation ne présente pas les anomalies précitées, au moment de la luxation. La laxité de l’ATM permet au processus coronoïde contra-latéral de basculer sous l’arcade zygomatique, pour venir se bloquer ventralement (conflit intermittent) ou latéralement (conflit permanent). Une réaction périostée de l’arcade zygomatique et du processus coronoïde peut résulter de frottements chroniques (7).

La mandibule peut être remise en place manuellement sous anesthésie : en décubitus latéral, la gueule grande ouverte, une pression est appliquée latéralement au processus coronoïde dans une direction médiale afin de le replacer dans la fosse masseter. On vérifiera ensuite la bonne coaptation des mâchoires inférieure et supérieure. Des crépitements secondaires à une maladie dégénérative de l’ATM peuvent être notés au cours de la manipulation (2).

La correction chirurgicale est indiquée afin de prévenir de nouveaux épisodes de blocages ou lorsque la réduction manuelle est impossible. Elle peut être unilatérale ou bilatérale, et consiste à exciser partiellement l’arcade zygomatique partielle et/ou le processus coronoïde. Une condylectomie mandibulaire peut également être réalisée si des lésions dégénératives de l’ATM sont présentes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  1. Kenneth AJ. The Head In: Piermattei’s Atlas of Surgical Approaches to the Bones of the Dog and Cat. Fifth ed. Elsevier Inc. 2014: 33-45.
  2. Lantz GC. Chapter 55 Temporomandibular Joint Dysplasia In: Oral and Maxilofacial Surgery in Dogs and Cats. Elsevier Ltd. 2012: 531-537.
  3. Boaz A. et coll. Computed tomographic findings in dogs and cats with temporomandibular joint disorders: 58 cases (2006–2011). JAVMA 2013;242:69-75.
  4. Gattineau M. et coll. Locked Jaw Syndrome in Dogs and Cats:37 Cases (1998-2005) J VET DENT 2008;25:16-22.
  5. Lenin A. et al. Morphologic and Morphometric Description of the Temporomandibular Joint in the Domestic Dog Using Computed Tomography. J VET DENT 2016;33:75-82
  6. Dickie AM. et al. Temporomandibular Joint Morphology in Cavalier King Charles Spaniels. Vet Radiol Ultrasound 2002;43:260-266.
  7. Schwarz T, Weller R, Dickie AM, et al. Imaging of the canine and feline temporomandibular joint: a review. Vet Radiol Ultrasound 2002;43:85–97
  8. Lerer A. et al. Imaging Diagnosis – Temporomandibular Joint Dysplasia in a Basset Hound. Vet Radiol Ultrasound 2014;55:547–551
  9. Beam RC. et al. Use of three-dimensional computed tomography for diagnosis and treatment planning for open-mouth jaw locking in a cat. J Am Vet Med Assoc. 2007: 230:59–63
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