Le diagnostic précoce de la dysplasie de la hanche

Dr Antoine BERNARDÉ (CHV Saint-Martin)

La dysplasie coxo-fémorale est une affection orthopédique commune, affectant de nombreuses races de chiens, qui répond à la définition d’une dysplasie : l’affection est héréditaire, non congénitale, et est secondaire à une anomalie du développement anatomique. Elle se caractérise initialement par une laxité articulaire exagérée, puis à partir de 6 à 10 mois d’âge par une dégénérescence articulaire secondaire.

Le diagnostic précoce est essentiel pour pouvoir mettre en place des techniques de sauvetage adaptées au chiot et à l’adolescent qui n’ont plus d’intérêt après certaines limites d’âge ou l’apparition des signes de dégénérescence.

Le diagnostic précoce nécessite une attitude active du clinicien :

  • Les signes cliniques sont souvent frustes avant l’âge de 5 mois, et l’affection peut passer inaperçue à moins d’être attentif à des signes évocateurs particuliers
  • Le diagnostic fait appel à des techniques radiologiques particulières, puisque l’incidence radiologique classique ventro-dorsale, hanches en extension, n’est pas assez sensible pour mettre en évidence à coup sûr la laxité qui caractérise le premier stade de cette maladie avant l’âge de 5 mois.

Nous nous intéressons ici au diagnostic de la dysplasie coxo-fémorale avant 5 mois.

1. Anamnèse. Signes cliniques initiaux

Parce que les chiens ont 4 membres et une capacité de transfert vers l’avant pour soulager des hanches inconfortables, les chiots dysplasiques n’expriment pas de franche boiterie dans les premiers mois de leur vie.

Les premiers signes cliniques à rechercher :

  • une pseudo-fatigabilité ou intolérance à l’effort (le chiot se couche puis reprend sa phase de jeu, puis se recouche à nouveau, etc…)
  • un faux galop appelé aussi « sauts de lapin ou « bunny hoping gait » (les deux postérieurs sont lancés en même temps lors du galop).
  • une difficulté au relever après une phase de repos.
  • le report de poids en avant peut également conduire le chiot à « faire des pointes », et adopter une hyperextension tibio-tarsienne.

La boiterie proprement dite, même intermittente n’est finalement pas le trait dominant de la sémiologie, et il ne faut surtout pas attendre que celle-ci finisse par apparaître pour se préoccuper du statut des hanches du chiot présentant quelques-uns des signes décrits ci-dessus.

2. Examen physique et test d’Ortolani

Chez le très jeune patient, la laxité des hanches peut conduire, pas toujours, à un inconfort lors de la manipulation des hanches dans toutes les directions (extension-flexion, abduction-adduction, rotation).

La laxité articulaire doit être testée par le test d’Ortolani. Pour éviter les faux négatifs, il convient de le réaliser sous tranquillisation (association Butorphanol-Médétomidine par exemple) ou anesthésie.

Le test est réalisé avec le chiot en décubitus latéral. Le test permet aussi de définir un angle dit de réduction : il s’agit de l’angle entre l’axe fémoral et le plan sagittal (horizontal sur l’animal couché) au moment de la réintégration de la tête fémorale dans la cavité. Plus l’angle de réduction est élevé, plus la laxité est importante. Un angle de réduction supérieure à 20° signe une laxité sévère.

Un test d’Ortolani positif est considéré comme anormal chez le patient à tout âge. La légitimité de ce test est documenté dans une étude démontrant que 85% des chiots âgés de 4 à 5 mois présentant un test d’Ortolani positif sont dysplasiques à l’âge de 1 an.

Une étude récente montre que la sensibilité et la spécificité du test d’Ortolani réalisé à 6 mois pour prédire l’ostéoarthrose de la hanche à 24 mois sont respectivement de 100% et 49% : tous les chiots de 6 mois qui étaient négatifs au test d’Ortolani ont été jugés indemnes de dysplasie à 24 mois, tandis que la moitié des chiots positifs au test d’Ortolani à 6 mois sont dysplasiques à 2 ans.

3. Diagnostic radiographique

a. Limites de l’incidence ventro-dorsale hanches en extension (VDHE)

Cette vue radiographique s’avère moyennement sensible chez les très jeunes individus pour détecter la laxité coxo-fémorale pour différentes raisons :

  • Le cliché radiographique statique de la coaptation fémoro-acétabulaire ne rend pas compte de la laxité qui par définition est dynamique
  • Les structures péri-articulaires ont tendance à resserrer la tête fémorale dans la cavité acétabulaire lors de l’extension des hanches, minimisant la laxité réelle
  • La sensibilité et la spécificité du test radiologique en incidence VDHE réalisé à 6 mois pour prédire l’ostéoarthrose de la hanche à 24 mois sont respectivement de 50% et 96,2 % : seulement la moitié des chiens jugés normaux sur la vue VDHE sont indemnes de dysplasie à 2 ans.

b. Tests radiographiques en distraction

Des recherches, menées initialement à l’Université de Pennsylvanie, ont conduit à définir une méthode dite « PennHip » où un matériel est placé entre les cuisses du chiot tenues à 80° par rapport à la table d’examen permettant d’obtenir une vue en distraction. La méthode, brevetée, est utilisée pour calculer un index de distraction, un ratio compris entre 0 et 1 qui quantifie le déplacement latéral de la tête fémorale : 0 représente une congruence parfaite, 1 représente une luxation complète.

D’autres méthodes, non brevetées donc plus accessibles, ont été développées depuis (Vezzoni, Flückiger, Farese, etc…) s’inspirant du même principe. Quelle que soit la méthode, l’index de distraction (DI) permet de distinguer les chiots ayant ou non une susceptibilité à la dysplasie :

  • 71% des chiots ayant un indice inférieur à 0,3 sont normaux ou borderline à l’âge d’un an
  • 95% des chiots ayant un indice supérieur à 0,5 développent une dysplasie coxo-fémorale.

4. Proposition méthodologique

Le dépistage de la dysplasie coxo-fémorale chez le très jeune chiot requiert une démarche active, sans attendre l’apparition de signes cliniques, souvent absents à cet âge. Le test d’Ortolani devrait être pratiqué chez tout chiot de race sensible, lors des consultations vaccinales.

La spécificité des tests pris isolément n’est jamais de 100%, et c’est leur combinaison qui permet de prédire, chez le chiot âgé de 3 à 6 mois, la susceptibilité de ses hanches à la dysplasie coxo-fémorale.

Dans une étude portant sur des chiots âgés de 4 à 5,5 mois, tous recrutés parce qu’ils combinaient un Ortolani positif, un angle de Norberg Olson ≤ 100° sur une vue VDHE et un index de distraction (méthode Flückiger) ≥ 0,5, tous les chiots n’ayant pas bénéficié d’un traitement chirurgical sont devenus dysplasiques.

Méthodologie diagnostique

Le tout premier test à pratiquer sur le chiot suspect est donc le test d’Ortolani. Il est pratiqué sur le chiot vigile dans un premier temps, et validé sous sédation avec mesure de l’angle de réduction. En cas de test positif, des examens radiographiques des hanches sont réalisés sous sédation, incluant une vue en incidence VDHE et un examen radiographique en distraction de type Flückiger ou Vezzoni.

Si le chiot cumule un Ortolani positif sur l’une au moins de ses hanches, un angle de Norberg-Olson ≤ 100° sur la vue VDHE, un indice de distraction ≥ 0,5, il peut être candidat à une correction chirurgicale si la laxité n’est pas trop exagérée (indice de distraction ≤ 0,75 et angle de réduction ≤ 15°).

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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  3. Gatineau M, Dupuis J, Beauregard G, Charette B, Breton L, Beauchamp G, d’Anjou MA. Palpation and dorsal acetabular rim radiographic projection for early detection of canine hip dysplasia: a prospective study. Vet Surg. 2012 41:42-53